I.3. Le principe de mixité rime-t-il avec celui de non domination d’un sexe sur l’autre ?

« La mixité imposée au système scolaire pour des raisons économiques et financières doit être repensée pour éviter que celle-ci n’aboutisse à renforcer ce qu’elle était censée diminuer, l’inégalité. Une mixité non repensée renforce les réponses stéréotypées des deux sexes »
(Labridy, 1989) 35 .

Dans le système scolaire, la mixité se confond avec la mise en présence, dans une unité de lieu et de temps, des filles et des garçons et serait censée gommer les différences de sexe. Or, en leur imposant une cohabitation, il s’avère que les élèves se sont arc-boutés sur les stéréotypes de leur propre sexe. Selon Fize (2003) 36 la mixité scolaire accentuerait la séparation des sexes en augmentant ses travers. Ainsi que le démontre un constat rapporté par le ministre délégué à l’Enseignement (12 mars 2003), les violences recensées dans les établissements sont en augmentation, les comportements sexistes enveniment l’ambiance des salles de classe et des cours de récréation. « Une haine de proximité se développe entre les filles et les garçons » 37 . Dans l’enquête sur la mixité en EPS réalisée par Terret et Cogérino (2002) 38 certains enseignants expriment ainsi ce ressenti : « Les problèmes relationnels deviennent en classe mixte l'essentiel des objectifs à résoudre. » 39 .

Pourtant, il faut reconnaître que dans certains contextes, la mixité permet d’estomper les défauts propres à chaque sexe. D’ailleurs, les enseignants jouent sur cet équilibre pour tenir leur classe, par la pression qu’un groupe de sexe exerce sur l’autre groupe. La plupart des enseignants trouvent les filles mijaurées et passives, « faiseuses d’histoires » mais ordonnées et obéissantes, alors que les garçons sont qualifiés de bagarreurs, irréfléchis et bruyants mais spontanés.

« La mixité est un faux problème, (…) elle est positive au niveau de la discipline : elle temporise les garçons un peu trop fougueux... et elle stimule les filles ». (Annotation d’un enseignant pour l’enquête mixité, 2002).

Ainsi, la classe mixte constituerait une voie médiane dynamisant les unes et assagissant les autres 40 . Les analyses de l’enquête montrent que certains enseignants dissocient les filles et les garçons en accentuant les stéréotypes de sexe et en s’appuyant sur ces derniers pour maintenir l’ambiance de la classe. 41 Alors qu’en pratique ils usent de subterfuges souvent inavoués pour maintenir une certaine unité, en théorie le contexte scolaire devrait leur permettre de tenir un rôle qui conduirait à une « neutralité » ne valorisant ni le féminin ni le masculin. Qu’entendre par neutralité ? En grammaire, le neutre correspond à ce qui n’est qualifié ni de féminin ni de masculin. Les pays neutres ne prennent pas part au conflit des belligérants mais se referment sur eux-mêmes, refusant de s’engager dans la réalité qui les entoure afin de protéger leurs intérêts. La neutralité d’un composant permet d’éviter les interférences entre les pôles négatif et positif. Les enseignants disposent de peu d’outils pour tenir ce rôle et transformer les rapports d’oppression des garçons sur les filles 42 . Ils ne sont pas toujours conscients ni d’user de moyens détournés ni « d’utiliser » les rapports de sexe offerts par le contexte de mixité pour en tirer avantage dans la gestion quotidienne de la classe. Certains refusent de constater les difficultés liées à la mixité « La mixité ne me semble pas plus difficile à mettre en œuvre que le respect des autres différences », « La mixité ne me pose pas de problèmes dans mon travail, je suis plutôt pour, elle reflète l'ambiance de la vie d'adultes » alors que d’autres les accentuent.

La différence de relation en classe entre les élèves des deux sexes se construit par rapport au code social. L’école est très largement reproductrice des représentations sociales de sexe et par extension l’école mixte n’est pas un lieu de neutralité. L’ensemble des études sur la mixité, notamment les recherches sociologiques, constate que son développement produit la valorisation du masculin car c’est la norme socialement valorisée. « L’école mixte n’est pas un lieu neutre pour les filles, elle est modelée par l’état général des rapports sociaux de sexes » Forest (1992) 43 . Ainsi la mixité reproduit la distribution sexuée des rôles et des rapports de sexe : à travers les études des manuels scolaires, le temps de parole accordé aux élèves des deux sexes par l’enseignant, la répartition des filles et des garçons dans les filières des lycées… . Certains enseignants constatent à leurs dépends que les stéréotypes de sexe s’appliquent également à leur propre personne : « La mixité me semble inadéquate lorsque la classe pose des problèmes de disciplines graves (respect des consignes, de l'adulte, du professeur), de la femme (enseignante) » 44 .

Face à ces difficultés, certains pays (notamment les anglo-saxons) proposent de revenir à un système non mixte. On peut alors se questionner : si la mixité n’est pas neutre, la non mixité le serait-elle ? Dans les classes non mixtes, l’idéal de cohésion et d’unité qui préside à l’instauration de la relation pédagogique tend à annuler la différence sexuée entre l’enseignant et les élèves. Il n’est plus possible de faire de comparaison entre filles et garçons ni de la part des élèves eux-mêmes ni de la part de l’enseignant. Malgré l’absence de comparaison directe entre les sexes, les garçons des classes non mixtes conservent une image plus positive de leurs habiletés. Par contre les stéréotypes liés à la féminité auxquels ils adhèrent seraient plus dysfonctionnels et creuseraient l’écart avec les filles (Baudoux, 1998) 45 .

Notes
35.

Labridy, F. (1989). L’EPS et les variables sexuelles. Pratiques corporelles, 84, Revue de la SFERPM.

36.

Fize, M. (2003). Déjà cité.

37.

Le Parisien, 16 janvier 2003.

38.

Terret, T. et Cogérino, G. (2002). Enquête auprès des enseignants d’EPS dans six académies du sud-est de la France. Cris Lyon 1. Notes personnelles.

39.

Les citations contenues dans ce paragraphe proviennent des annotations libres effectuées par les enseignants interrogés lors de l’enquête précitée.

40.

Terret, T. et Cogérino, G. (2002). Ibidem.

41.

Les filles sont considérées dans leurs rôles d’auxiliaires sociales pour les enseignants de collège, plutôt par des enseignants âgés de plus de 41 ans, ayant un diplôme Capeps externe ou interne et une ancienneté de plus de 21 ans. Les garçons sont considérés dans leur rôle dynamisant plutôt par des enseignants des deux sexes, plutôt de collège, ayant plus de 41 ans, ayant un diplôme Capeps externe et une ancienneté plutôt de plus de 21 ans. 6 enseignant(e)s annoncent en même temps que les filles sont utiles comme auxiliaires sociales et que les garçons sont dynamisants, exprimant ainsi les deux bouts des stéréotypes masculins/ féminins.

42.

Forest, L. (1992). Déjà cité.

43.

Forest, L. (1992). Déjà cité.

44.

Terret, T. et Cogérino, G. (2002). Citation d’enseignant.

45.

Baudoux, C. (1998). Les enjeux politiques de la mixité éducative. In N. Mosconi (Ed.), Egalité des sexes en éducation et formation. Biennales de l’éducation. Paris : PUF.