II.2. Les voies de la transmission des normes sexuées

Il est aussi difficile pour les élèves que pour l’enseignant de passer outre les normes sociales et les stéréotypes sexués car ceux-ci s’insèrent à leur insu dans un réseau occulte dont on ne prend guère conscience. C’est particulièrement au cours de la transmission des contenus et des interactions que les normes sexuées sont véhiculées sans que l’enseignant n’en ait l’intuition.

Les processus d’élaboration et de construction des connaissances « jouent un rôle clé dans les rapports de pouvoir en participant au maintien des groupes dominants » (Van Haecht, 1990) 57 . Bien au-delà de ce que les textes prescrivent, les curricula sont définis selon les normes dominantes. Selon certains auteurs anglo-saxons (Young, 1971 58  ; Goodson, 1985 ; Bernstein, 1990) 59 la construction sociale des savoirs et en particulier celle des savoirs scolaires par le curriculum formel 60 , est orientée politiquement et par conséquent démontre les intérêts distinctifs mis en œuvre par l’ordre social dominant, ici, le masculin.

Des recherches françaises en sciences de l’éducation montrent que dans le fonctionnement concret et interne de l’école, les agents et les savoirs transmis ne sont pas sexuellement neutres mais contribuent activement à la fabrication et au maintien des inégalités sexuées qui s’expriment au niveau du curriculum caché 61 . Il s’agit bien de l’ensemble des fonctionnements de l’institution et de l’enseignant qui produisent des effets peu identifiables dont personne n’a conscience. Cet ensemble constitue un versant caché du système qui contribue à entretenir les normes des rapports sociaux entre les sexes 62 . Le curriculum caché est l’occasion de vivre une socialisation qualifiée de sexuée (Mosconi, 1989 ; Duru-Bellat, 1994 ; Durand-Delvigne et Duru-Bellat, 1998) 63 qui contribue à la définition du féminin et du masculin à l’école et des rapports sociaux de sexe. Les valeurs, représentations, compétences, savoirs et rôles sont ainsi fortuitement transmis alors même qu’ils ne constituent pas des objets scolaires définis. Le réseau de communication du curriculum caché se réfère à l’expérience masculine, le féminin semble y être ignoré ou dévalorisé. On peut donc imaginer que les filles sont désavantagées par la valeur masculine donnée au curriculum, ce qui aboutit à la production d’un traitement inégal selon le sexe.

« Cette inculcation indirecte est un des éléments qui permet de comprendre comment une meilleure réussite scolaire initiale ne garantit pas aux filles l’accès aux mêmes parcours scolaires qu’aux garçons » (Mosconi, Loudet-Verdier, 1997) 64 .

L’observation fine de tous les éléments, même les plus anodins des actions quotidiennes de la classe, permet de mettre en évidence certaines valeurs et attitudes sexuées.

Notes
57.

Van Haecht, A. (1990). L’Ecole à l’épreuve de la sociologie. Questions à la sociologie de l’éducation.Bruxelles : De Boeck Université.

58.

Young, M. (1971). Knowledge and Control: New Directions for the Sociology of Education. London: Collier Macmillan.

59.

Goodson, I. (1985). Social Histories of the Secondary Curriculum : Subjects for Study. London: Falmer Press.

Bernstein, B. (1990). The Structuring Pedagogy Discourse, Volume IV: Class, Codes and Control. London: Routledge.

Ces trois auteurs sont cités par Macphail, A. (2004). The Social Construction of Higher Grade Physical Education: The Impact on Teacher Curriculum Decision-making. Sport, Education and Society, 9 (1), 53-73. (traduction personnelle).

60.

Perrenoud, P. (1984). La fabrication de l’excellence scolaire. Genève : DROZ.

Le curriculum formel est formé par l’ensemble des normes, des valeurs, des savoirs définis par le système éducatif à travers les objectifs et les textes qui prescrivent ce qui doit être enseigné.

61.

Marry, C. (2001). Filles et garçons à l’école du discours muet aux controverses des années 1990. In J. Laufer, C. Marry, et M. Maruani (Eds.), Masculin-Féminin : questions pour les sciences de l’homme. (pp.25-41). Paris : PUF, Collection Sciences sociales et société.

62.

Perrenoud, P. (1984). Idem.

Curriculum caché car il recouvre un ensemble de fonctionnements qui produisent des effets plus ou moins identifiables sans que personne ne les ait voulu en conscience. Ils sont souvent de l’ordre de la communication.

63.

Mosconi, N. (1989). Déjà cité.

Duru-Bellat M. (1994). Déjà cité.

et Durand-Delvigne, A. et Duru-Bellat, M. (1998). Mixité scolaire et construction du genre. In M. Maruani. (Ed.), Les nouvelles frontières de l’inégalité. Hommes et femmes sur le marché du travail. (pp. 83-92). Paris : Mage- La Découverte.

64.

Mosconi, N. et Loudet-Verdier, J. (1997). Déjà cité. (p.128).