I. Des attentes différenciées aux choix didactiques comme renforçateur des inégalités

I.1. Mise en scène du savoir par l’enseignant

Dans la transmission du savoir se jouent des actes que l’enseignant et l’élève seront amenés à ressentir de manière marquante. L’enseignant contribue à produire différences et inégalités suivant les contenus, le mode de transmission et d’évaluation choisis.

C’est à l’enseignant qu’il revient de proposer le savoir et de le mettre en scène. Pouvoir et savoir sont du côté de l’enseignant 76 . Pour éveiller l’intérêt de tous, il n’hésite pas à s’investir pleinement dans cette relation qu’il souhaiterait maîtriser afin de transformer tous les élèves, dans un « sursaut de toute puissance » (Rey, 1999) 77 de l’adulte instruit. Cet investissement qui lui demande une grande énergie, peut le conduire à ressentir un sentiment négatif, une déception devant le manque de motivation des élèves, leur inactivité. Des différences entre les enseignants hommes et femmes peuvent trouver à s’exprimer dans cette mise en scène. Les femmes osent moins se montrer, elles estiment que les hommes ont une autorité « naturelle », alors qu’elles sont contraintes d’user de stratagèmes en compensation de leur « faiblesse ». Elles se tiennent debout, essaient d’avoir une présence forte pour masquer leur être sexué et fonder leur autorité face aux garçons 78 .

Chaque enseignant sait qu’il n’enseigne pas seulement des contenus disciplinaires mais qu’il transmet également des valeurs qui lui sont propres, par sa simple présence.

« […] en même temps, à côté, en marge, aux bords, il enseigne autre chose. […] Tout ce qui concerne l’être au monde et le sien pour commencer, tout ce qu’il fait voir à son insu ; une mise en résonance de l’être, il montre ce qu’est un homme qui transmet ce qui le passionne […] » (Blanchard-Laville, 1998) 79 .

Au travers de son être, il (elle) dévoile ses propres désirs et ses propres limites, sa propre vision du monde et des autres. L’enseignant est alors une « femme » ou un « homme » qui accepte de se montrer dans ce qu’il a de meilleur ou de moins bien, un être de langage et de geste, de communication et de non-communication, un être humain avec toute son identité, son sexe, sa propre construction sociale et psychique. « L’enseignant enseigne plus avec ce qu’il est qu’avec ce qu’il sait : avec ses croyances, ses idéaux, ses fantasmes, sa relation à la Loi… » (Cordié, 2003) 80 voire ce qu’il croit être ou l’image qu’il aime donner de lui-même, ce qu’il aimerait être... Enseigner n’est donc ni une activité neutre ni une activité aisée, des phénomènes inconscients et puissants sont présents aussi bien du côté de l’enseignant que du côté de l’élève.

L’élève, lui, cherche à comprendre ce qui le différencie de l’enseignant et imagine que leur dissemblance réside dans le pouvoir que confère le savoir. « L’enseignant est accusé de montrer tout son savoir pour dominer l’élève tout en ne le lui rendant pas accessible » (Cordié, 2003). D’ailleurs pour Pujade-Renaud (1983), l’acte de transmission relève de la dramatique, dans la mesure où la transmission est exigée comme un dû de la part de l’élève. Dès que ce dernier détient le savoir à son tour, l’enseignant meurt symboliquement puisque son pouvoir assuré par la détention du savoir est neutralisé 81 .

Dans un registre plus affectif, plus subjectif aussi, la manière de transmettre le savoir relève d’un processus actif.

L’élève associe directement le savoir à la personne de l’enseignant. Le lien affectif qui fonctionne entre eux facilite ou non l’accès au savoir. Celui-ci devient accessible et vivant pour l’élève, si l’enseignant témoigne de son propre plaisir à enseigner et à transmettre « son » savoir. C’est ce qu’il présente de lui dans son discours, son attitude, ses actes, qui se répercute à son insu sur les apprentissages des élèves. Dans le champ de la psychanalyse, les études de Blanchard-Laville et de Berdot (1997) 82 qualifient cette relation de « transfert didactique » et ce qui circule de manière inconsciente entre l’enseignant et l’élève lors de la transmission du savoir de « climat transférentiel ». Au cours de ce transfert être « femme » ou « homme » ne pourra pas aboutir aux mêmes conséquences parce que le savoir a partie liée avec le corps et le langage 83 . Ces liens sont marqués par les caractéristiques de sexe à partir des stéréotypes féminins et/ou masculins qui sont assimilés par tout individu.

Notes
76.

Lapassade, G. (1991). L’ethnosociologie. Les sources anglo-saxonnes.Méridiens Klincksiek. (p.127).

77.

Rey, B. (1999). Les relations dans la classe. au collège et au lycée. Paris : ESF. Pratiques et enjeux pédagogiques. (p.38).

78.

Pujade-Renaud, C. (1983). Le corps de l’enseignant dans la classe. Paris : ESF.

79.

Blanchard-Laville, C. (1998). L’enseignant et la transmission dans l’espace psychique de la classe. In C. Margolinas et M-J. Perrin-Glorian (Eds.), Cinq études sur le thème de l’enseignant. Recherches en didactique des mathématiques. (pp.151–171). Paris : La Pensée Sauvage.

80.

Cordié, A. (2003).Et l’inconscient ? Souffrances de Profs. Cahiers pédagogiques, 412.

81.

Pujade-Renaud, C. (1983). Déjà cité. (p.112).

82.

Berdot, P., Blanchard-Laville, C. et Camara Dos Santos, M. (1997). La construction de l’espace psychique dans la classe. In C. Blanchard-Laville (Eds.), Variations sur une leçon de mathématiques. Analyse d’une séquence : « L’écriture des grands nombres ». Paris : L’Harmattan, Collection Savoir et formation. (p.228).

83.

Pujade-Renaud, C. (1983). Déjà cité. (p.156).