IV.1. Discourir et enseigner

En matière d’éducation le discours et le langage sont des éléments fondamentaux supports de la communication entre l’enseignant et les élèves.

Pour la psychanalyse, « c’est dans et par le langage que l’individu se constitue comme sujet » (Aquien, 1997) 126 , fondant sa réalité. La fonction de communication permet le lien social « tout ce qui se produit comme langage a lieu pour être communiqué dans l’échange social » (Kristeva, 1981) 127 . Par le langage, le locuteur fait renaître l’événement par son discours, l’auditeur entend le discours qui lui permet de recréer une image de l’événement.

« Ainsi l’exercice du langage confère à l’acte de discours une fonction double : pour le locuteur il représente la réalité, pour l’auditeur il recrée cette réalité. Cela fait du langage l’instrument même de la communication intersubjective » (Benveniste, 1966) 128 .

Le discours est d’une importance capitale, il engage le locuteur, l’insère dans les mots qu’il prononce « ce qui va sans dire va autrement en étant dit » (Prokhoris, 2000) 129 . On peut admettre que les conséquences de ce qui vient d’être énoncé modifient parfois le cours des événements.

Dans le contexte scolaire, l’enseignant doit échapper à la relation à l’élève en terme affectif, il (elle) doit montrer à l’élève qu’il (elle) n’est pas là pour cela 130 . Par son attitude, il (elle) doit montrer qu’il (elle) n’est là ni pour aimer, ni pour haïr ses élèves mais pour les aider à appréhender le monde. Au moment de l’adolescence, les jeunes peuvent ressentir quelques difficultés à vivre une relation sereine et à se mettre à distance de l’enseignant. Ils oscillent entre des comportements de contrôle excessif ou de désintérêt, de provocation ne leur permettant pas de percevoir que l’intérêt que leur porte l’enseignant est identique pour tous. La colère ou la répression peuvent apparaître comme des émotions, des manifestations affectives. Pour éviter que la communication sur le savoir et sur le monde soit prise par l’adolescent comme une communication relationnelle, les règles du savoir doivent être précisées. Dans une approche globale, c’est par la manière dont l’enseignant fait considérer sa matière aux élèves qu’il (elle) crée une relation particulière au sein du triangle didactique. L’enseignant définit les éléments constitutifs de son « univers » composé par « l’ensemble des contenus, la gestion et les formes que prennent les échanges dans la classe » (Hache et Robert, 1998) 131 . Les formes du travail proposées aux élèves, les discours tenus par l’enseignant servent à caractériser la manière dont il (elle) enseigne sa discipline dans la classe.

Entre ce qu’il (elle) dit et ce qu’il (elle) fait la relation n’est pas toujours établie. Entre le travail réflexif, à tête reposée, où les choix d’objectifs, de situations, d’évaluation ont été effectués et ceux de maintenance pédagogique réalisés au cours de la leçon, parfois dans l’urgence, de manière sensible, intuitive et personnelle : il y a un écart de pression temporelle, de réflexion, de statut. Les différences entre les enseignants selon qu’ils sont hommes ou femmes s’expriment dans les deux dimensions, didactique et pédagogique, mais les élèves ressentent directement les différences qui s’expriment dans le discours qui leur est adressé. Le style de discours peut donc être considéré comme sexué. Coffey et Delamont (2000) 132 montrent que les styles diffèrent suivant le sexe des individus et Wright (1997) ajoute que l’enseignant peut user d’un langage différent selon son sexe. Dans la conversation, le style féminin met en avant le rapport avec les autres et le partage. Dans le cadre du cours d’EPS, la femme donne de longues explications qui ne portent pas sur le pourquoi mais sur la description du comment des habiletés 133 . Le style masculin montre davantage d’indépendance et une approche instrumentale. En EPS, l’homme centre son intervention avec les filles sur les relations, ce qui influence énormément la position qu’il occupe dans la relation sociale avec les filles et leur activité. Les styles de langage différenciés entrent dans la construction du modèle de genre comme produits du masculin et du féminin. Etendu à l’enseignant, cela permet d’entrevoir les capacités requises pour assurer tantôt une fonction d’ordre maternel, tantôt une fonction d’ordre paternel. On peut regretter que les modalités d’intervention auprès des élèves donnent rarement lieu à des analyses réflexives.

Justement, une étude danoise démontre l’impact du discours de l’enseignant en éducation physique sur les apprentissages des élèves. Elle pointe que les différents éléments discursifs produisent des effets différenciés entre les filles et les garçons ce qui participe du curriculum caché que nous avons déjà évoqué (Ronholt, 2002) 134 . Le dialogue qui s’instaure entre l’enseignante (dans le cas observé) et les élèves se modifie sous l’influence active des garçons alors que la passivité des filles leur laisse le champ libre. Indirectement les garçons sont encouragés par les filles et par l’enseignante à occuper une position dominante dans la classe. Cet exemple supporte le biais traditionnellement présenté par les études de genre sur les interactions.

Le style du discours verbal s’assortit des effets de la voix et des attitudes corporelles pour amplifier ou nuancer la communication.

Notes
126.

Aquien, M. (1997). L’autre versant du langage. Paris :J. Corti. (p.8).

127.

Kristeva, J. (1981). Le langage cet inconnu. Paris : Seuil. Collection : Points.

128.

Benveniste, E. (1966). Problèmes de linguistique générale. Paris : Gallimard, Tome 1, tome 2 (1974)

129.

Prokhoris, S. (2000).Le sexe prescrit, la différence sexuelle en question. Paris : Aubier. (p.133).

130.

Rey, B. (1999). Déjà cité. (p.34).

131.

Hache, C. et Robert, A. (1998). Déjà cité.

132.

Coffey, A. et Delamont, S. (2000). Feminism and the classroom teacher. Research, praxis and pedagogy. London : Routledge Falmer.

133.

Wright, J. (1997). Déjà cité.

134.

Ronholt, H. (2002). ‘It’s only for the sissies…’ : analysis of teaching and learning process in physical education : a contribution to the hidden curriculum. Sport, Education and Society, 7 (1), 25-36.