IV.2. Voix et attitudes corporelles

L’enseignant est un spécialiste de la parole. En EPS où le temps d’activité de l’élève est important, la transmission verbale demeure le moyen de communication le plus usité.

Le rythme, le nombre, la répétition des mots structurent le discours dans le temps. Le rythme est amplifié par la présence au corps. La communication orale implique le corps dans deux niveaux de langage. Le premier, verbal porte le son, le second non verbal s’adresse au regard de l’interlocuteur. A travers le langage c’est le sens qui se construit, le langage permet aux hommes « de se « signifier », de se faire connaître les uns aux autres leurs pensées » (Ducrot et Todorov) 135 .

A l’intérieur du verbal, la voix constitue un instrument que l’on peut considérer comme corporel. En effet la voix personnelle manifeste les limites de l’émotivité et prend parfois le relais de la voix professionnelle 136 . Elle participe à la différenciation sexuelle et à la représentation culturelle du corps. Elle est associée à la personnalité, « reflet parfait de notre comportement anatomo-physiologique et de nos états psychologiques » (Walczak, 2001) 137 . La voix est un caractère sexuel secondaire qui se transforme au moment de la puberté, elle se construit selon des référents familiaux, subit l’influence du modèle culturel, social : les voix masculines sont actuellement plus proches de celles des femmes, dans un caractère androgyne. Associée à la communication non verbale, elle est le support des émotions.

« La voix est un moyen d’expression de soi, elle est le canal privilégié des émotions. Les mimiques et les postures traduisent comme la voix les sentiments sous-jacents ». (Cornut, 1986).

Tout enseignant est confronté à la nécessité de faire adhérer les élèves à une motivation collective permettant le bon déroulement du cours. Afin de capter leur attention, de les faire obéir ou de défaire les tensions, il (elle) modulera sa voix suivant les circonstances, affirmant tour à tour son autorité, appelant le calme et l’attention, exprimant une attitude d’écoute. La voix permet l’affirmation de soi, elle peut être amplifiée par la gestuelle corporelle qui la supporte. Le langage et le corps s’articulent au cœur même de la relation pédagogique 138 . La perception de l’autre, l’enseignant ou l’élève, les relations affectives ne sont pas dissociées du corps ni de la voix.

Les attitudes des femmes et des hommes s’expriment à travers les modalités d’expression corporelle, par l’espace que les corps occupent suivant le sexe de l’individu (Lefebvre, 1991 ; Ségalen, 1995 ; Nespor, 2000). Si les corps génèrent des espaces, ils sont constitués par leur spatialité. 139 Il suffit pour s’en convaincre de se placer en position d’observateur dans un quelconque lieu public fréquenté par des personnes des deux sexes, par exemple une salle d’attente. Les femmes y seront assises en occupant le moins de place, sac à main sur les genoux, les jambes serrées ou croisées, se tenant droites dans leur fauteuil. Les hommes auront plus souvent les genoux écartés largement, ou les jambes étendues devant eux, occupant tout l’espace du siège, s’affirmant dans leur attitude par l’espace occupé.

Les comportements non verbaux sont liés aux comportements verbaux. La fréquence des mouvements corporels ou les mouvements de mains augmentent à mesure que les émotions s’amplifient. Les mouvements de tête sont, eux, représentatifs de l’écoute, de l’attention pour l’interlocuteur ; ils sont régulateurs de l’échange. De Landsheere et Delchambre (1979) 140 ont décrit certaines postures fréquentes et significatives catégorisées suivant le sexe du locuteur dont on trouvera quelques exemples dans le tableau ci-après.

Tableau 2: exemples de postures
Homme Femme
Doigt pointé vers l’interlocuteur Hausser les épaules
Secouer la tête
Se frotter les cheveux
Tourner la paume des mains vers le haut
Jambes formant un angle de 10 à 15° en station debout Jambes jointes
Bras formant un angle avec le corps Bras le long du corps

Les attitudes et postures, la spatialité corporelle, la voix composent des indicateurs sexués. On peut illustrer et interpréter la démarche suivant l’émotion qu’elle sous-tend : démarche normale, lente (calme), rapide (impatience, précipitation), traînante (opposition), lasse (abaissement des épaules, traînement des pieds), rythme rapide, saccadé (frayeur), silencieuse (déplacement en zigzag). Corrélativement au discours, l’enseignant utilise le plus souvent inconsciemment ces messages gestuels. Par contre l’élève en décode le sens et l’interprète ce qui lui permet parfois de savoureuses caricatures des enseignants. Si le canal verbal sert à la transmission du savoir, le canal non verbal informe sur la personnalité de l’enseignant, son état.

La communication verbale et non verbale semblerait donc porter l’empreinte du sexe de l’enseignant, nous envisagerons dans le paragraphe suivant une autre dimension sexuée : celle des émotions.

Notes
135.

Ducrot, O. et Todorov, T.(1972). Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage. Paris : Seuil. (p.15).

136.

Andrieu, B. (2001). Présentation. Le corps enseignant. Actes du colloque de Nancy, IUFM de Lorraine. (textes réunis) :Eurédit. (pXIV).

137.

Walczak, J. (2001). La voix de l’enseignant. Actes du colloque de Nancy, IUFM de Lorraine. (textes réunis) :Eurédit. (pp.61-66).

138.

Pujade-Renaud, C. (1983). Déjà cité. (p.34).

139.

Lefebvre, H. (1991). The production of space. Oxford, UK : Basil Blackwell. (traduction libre p.216).

140.

De Landsheere, G., Delchambre, A. (1979). Les comportements non verbaux de l’enseignant. Comment les maîtres enseignent II. Paris : F. Nathan, Bruxelles : Labor. (p.53).