IV.3. Autorité et contrôle, ordre et désordre

L’institution scolaire accorde beaucoup d’importance à la discipline et au contrôle des élèves afin de garantir la sécurité de tous et la possibilité d’accéder au travail dans les meilleures conditions.

La discipline est considérée comme l’apanage des hommes qui incarnent l’autorité et sont capables de menacer les élèves indisciplinés ou de faire pression sur eux physiquement. La rationalisation du contrôle, la ritualisation des activités, l’imposition du silence, le recours aux sanctions et la mise en forme des corps constituent les éléments de la socialisation scolaire traditionnelle 146 . L’ordre et le désordre sont à dissocier de l’autorité, ils dépendent de l’organisation du travail, des choix pédagogiques. Lors d’un travail collectif, l’enseignant tolère davantage de bruit. L’utilisation d’un niveau élevé de la parole professorale encourage les élèves à parler également, ce qui génère un bruit de fond, alors qu’une voix faible maintient davantage le silence.

D’après les interprétations psychanalytiques, l’autorité vient de tout un mélange d’éléments personnels : le charisme, la parole, l’aspect physique, le regard, la manière de se tenir et de se mouvoir, qui fondent une globalité. C’est alors que l’autorité semble davantage être « naturelle » et que cette domination est abusivement attribuée aux hommes. L’autorité serait la force de pouvoir subjuguer, séduire, persuader. En classe, c’est une forme de relation à laquelle les élèves adhèrent car ils reconnaissent les ordres et demandes de l’enseignant comme légitimes et justifiés 147 . Robinson (1992) 148 montre que les hommes utilisent des formes plus visibles de discipline et un plus grand contrôle physique. Ces comportements masculins d’intimidation sont évalués comme la preuve d’une grande efficacité.

Les femmes usent moins de ce type de comportement et, malgré l’autorité qu’elles exercent de fait dans la classe, elles ne se sentent pas capables d’assumer complètement ce rôle ou ne souhaitent pas l’assumer par l’expression d’un modèle masculin. L’enseignante est placée dans une situation conflictuelle : si elle veut affirmer son autorité elle sera accusée d’abus, d’autoritarisme, de ne pas combler les attentes affectives des élèves. Mais si elle est trop « gentille », « maternelle », elle sera accusée de manquer d’autorité. Beaucoup d’enseignantes trouvent des compromis acceptables mais nombre d’entre elles vivent cela comme un malaise qui les oblige à gommer leur identité féminine pour se « faire écouter » 149 .

Si certains hommes reconnaissent user, voire abuser, d’une manière d’enseigner masculine, tous ne construisent pas un univers de classe typiquement masculin. Des recherches anglo-saxonnes montrent que certains enseignants refusent parfois d’assumer le rôle autoritaire que l’on projette sur eux. Ils contestent cette démonstration du masculin, accordent au contraire beaucoup d’importance à une relation fondée sur l’écoute et la résolution rationnelle des conflits 150 , à l’inverse d’une relation fondée sur l’autorité.

On aura compris que l’autorité peut être dissociée entre celle fondée sur le pouvoir et la coercition et celle fondée sur le charisme et la compétence. Le corps de l’enseignant, appartient pour le temps du cours à l’espace public de la classe. Le corps du professeur montré aux élèves, devient « leur » objet qu’ils jouent parfois à caricaturer, à déformer. « Etre à l’aise dans son corps » permet le prolongement des décisions enseignantes, exprime l’harmonie avec les choix effectués. La fluidité corporelle de l’enseignant en action constitue l’une des conditions pour l’acquisition d’une autorité charismatique. Dans cette alternative comportementale, le corps donne le pouvoir et l’autorité. En EPS le corps montré se fait le véhicule direct des valeurs, des normes et attributs sexués. D’ailleurs, les représentations les plus fréquentes du physique idéal de l’enseignant d’EPS convergent vers un type athlétique et dynamique, un look sportif, une aisance corporelle qui correspondent plutôt au type idéal masculin. Pendant la leçon d’EPS non seulement le corps de l’enseignant est montré mais il se pose aussi en un véritable modèle au cours de la démonstration. On imagine tout le poids que cela confère à l’enseignant notamment dans les activités morphocinétiques.

Les enseignants apprécient que les élèves aient le sens de l’autorité et l’associent souvent avec la réussite scolaire. Pourtant suivant le sexe des élèves, ils attribuent des caractéristiques différenciées ; aux filles : obéissance, soumission et subordination ; aux garçons : direction, initiative et guide de l’action. Le non respect à l’autorité est mieux accepté de la part des garçons pour lesquels on considère qu’il s’agit d’un trait positif d’activité 151 . Les garçons accaparent l’attention des enseignants par leur manque de respect de la discipline, ce qui leur permet de recevoir davantage d’interactions, même si celles-ci sont constituées de réprimandes et de commandements, de feed-back négatifs.

L’autorité paraît être plutôt l’apanage « naturel » des hommes, elle est facilitée en EPS par la prestance physique. Les femmes sont parfois, elles, contraintes de lutter contre leur image féminine ou d’utiliser des subterfuges pour s’imposer, quelquefois contre leur gré.

L’enseignant dispose de différents moyens pour gérer la classe afin de favoriser l’égalité entre les filles et les garçons. Les voies de communication verbales et non verbales permettent d’accéder à la personne de l’enseignant dans sa dimension sexuée et notamment de pointer les différences entre les femmes et les hommes au niveau de leurs pratiques d’enseignement.

Ni le savoir, ni sa transmission ne sont neutres : l’enseignant met en scène le savoir et sa condition de femme ou d’homme se dévoilent en transparence. L’élève n’est pas dupe de cette soi-disant neutralité qui masque mal le sexe de la personne enseignante, il se crée un lien d’une nature particulière et d’une couleur différente suivant le sexe des deux interlocuteurs. De cette relation, la séduction et la diffusion des stéréotypes de sexe ne sont pas exempts et produisent des discriminations suivant que l’élève est une fille ou un garçon. Pour lutter contre celles-ci la voie pédagogique du féminisme tente de modifier les relations entre l’enseignant et les élèves, ainsi que leur accession au savoir. Cependant dans certaines disciplines souvent connotées masculines, nombre d’attitudes sexistes perdurent. Au-delà c’est l’ensemble des attentes de l’enseignant qui sont différenciées suivant le sexe de l’élève. Il compte sur l’attitude studieuse des filles pour maintenir l’attention de la classe sur le travail, il compte sur les garçons, notamment en EPS pour stimuler les filles trop « passives ». Ce faisant, les situations, les discours, les interactions verbales et non verbales s’en trouvent influencées et sont discriminées suivant le sexe de l’élève, renforçant les positions sociales des sexes dans l’espace de la classe, confortant les valeurs et les stéréotypes, influant sur la perception de réussite.

L’enseignant est lui-même influencé par son propre vécu et son identité sexuée : son expression, son style de discours, sa voix, la façon de se tenir corporellement et de se mouvoir en sont le reflet et supportent l’acte pédagogique. Non, avoir affaire à un enseignant homme ou à une femme ce n’est pas pareil ! Un(e) adolescent(e) n’attribuera pas la même signification au contact physique selon le sexe de l’enseignant et les fantasmes trouvent alors à s’exprimer : maternage pour une femme mais perversion pour un homme ; laxisme pour une femme, autorité pour un homme : les rôles de sexe sont bien présents.

Notes
146.

Prairat, E. (2001). Le corps au cœur de la socialisation scolaire. In B. Andrieu, Le corps enseignant. Actes du colloque de Nancy, IUFM de Lorraine. Eurédit. (p.113).

147.

Rey, B. (1999). Déjà cité. (p.107).

148.

Robinson, K.H. (1992). Classroom discipline: power, resistance and gender. Gender and Education, 4 (3), 273-287.

149.

Mosconi, N. (1992). Déjà cité. (p.70).

150.

King, J.R. (2000). The problem(s) of Men in early education. In N. Lesko, Masculinities at school.(pp.3-26). California : Thousand Oaks. Sage Publications.

151.

Bouchard, P. et St-Amand J-C. (1996). Déjà cité. (p.142).