Enjeux quotidiens

Si les discours prescriptifs fixent un cadre aux missions et à l’activité de l’enseignant en s’appuyant sur les pratiques enseignantes, il n’en demeure pas moins que la gestion de la mixité au quotidien relève d’un véritable challenge.

L’enseignant ressent souvent un certain vide, une solitude face à la gestion de l’hétérogénéité des classes, celle-ci étant encore accentuée en EPS par la gestion des différences entre les filles et les garçons. Pour beaucoup, la mixité représente une difficulté supplémentaire à gérer : on la prend à cœur ou on l’ignore. Ce sont les enseignants les plus expérimentés qui s’expriment le plus sur ce sujet 163 . Ils en montrent les aspects positifs ou négatifs et ce, souvent avec un certain parti pris. Certains enseignants ne proposent toujours pas d’apprentissage en classe mixte dans le second cycle : « Elle (la mixité) paraît encore difficile pour certains collègues, au lycée l’EPS est non mixte, alors qu’au collège elle est mixte. ». D’autres affichent carrément leur opposition : « Depuis trois ans, nous avons les classes en mixité. C'est depuis que mon énergie a décliné considérablement, ainsi que ma motivation à expérimenter des situations nouvelles. Mes élèves y ont beaucoup perdu. Je suis contre la mixité. » ils estiment que la mixité génère une gestion difficile des élèves, que les élèves eux-mêmes sont pénalisés : « Rares sont les élèves qui trouvent leur compte dans la mixité ». A l’opposé, certains prennent parti ouvertement en faveur de la mixité, ils appuient leur réflexion sur l’enjeu démocratique, le respect et la connaissance de l’autre : « Une société mixte est une société consciente de ses différences, de ses spécificités, de ses goûts, de ses espérances. A une époque où la guerre, le terrorisme, l'exclusion, la ségrégation règnent dans le monde, la mixité reste parmi les liens les plus forts pour que survive notre démocratie. »

Le consensus favorable à une EPS mixte sous-tend une conception du métier centrée sur une amélioration de la cohabitation des sexes. Les plus réticents, souvent des enseignants parmi les plus expérimentés, ne souhaitent pas être confrontés aux turbulences des garçons et invoquent une incompatibilité physique entre filles et garçons dès la classe de 4ème 164 craignant la mise en danger des filles. « sixième, cinquième, tolérance sur mixité selon les APS mais à partir de la quatrième-troisième avec les différences physiques importantes. Le problème se pose. ».

Même lorsque les enseignants sont favorables à la mise en œuvre d’une commune appropriation des connaissances et compétences motrices et culturelles par tous, ils soulignent l’extrême complexité à prendre en considération l’ensemble des paramètres intervenant dans la gestion quotidienne des activités : sexe, âge, taille, origine culturelle, géographique, ethnique, motivation, affinité… « Problème de sécurité important en classes mixtes - sport collectif, quatrième, troisième. Les problèmes relationnels deviennent en classe mixte l'essentiel des objectifs à résoudre » ou encore « La mixité en EPS en collège est difficile à mettre en place : problèmes ethniques, écart d'âge entre les élèves d'une même classe. Les activités mises au programme offrent peu de possibilités pour avoir un projet en mixité. ».

Que doit-on entendre par « commune appropriation » ? L’enseignant définit les contenus, propose les apprentissages dont les élèves tireront des connaissances variables suivant chacun(e), certaines ignorées ou cachées ainsi que cela a été démontré dans les études sur les curricula (Perrenoud, 1984) 165 . Malgré la volonté d’aller vers des acquis communs, au quotidien l’enseignant gère véritablement le dissemblable.

Notre pratique sur le terrain nous a permis de remarquer une réelle différence d’attitude des élèves, filles et garçons : « Dès l’entrée dans le gymnase, ils diffèrent » 166 et leur dissemblance perdure tout au long de la leçon. Par exemple pour nombre de garçons, l’EPS représente d’abord un moment de défoulement corporellement alors que pour nombre de filles c’est un lieu de discussion. Pour tous, c’est aussi l’occasion de s’éprouver physiquement, de se confronter à soi-même et aux autres, aux limites, aux règles, de se définir corporellement, d’asseoir son identité. L’enseignant participe de cette recherche personnelle par son attitude, par les contenus qu’il propose, par la gestion de la classe, par le dialogue qu’il encourage ou l’indifférence qu’il suscite. On mesure tout le poids de l’influence en jeu, positive ou négative, sur « les comportements présents et ultérieurs des élèves » concernant les apprentissages corporels et sportifs.

Dans ce contexte général, les filles et les garçons peuvent-ils réellement profiter des bienfaits de l’EPS et atteindre individuellement un épanouissement corporel bénéfique ? Cette expression de l’une des finalités de la discipline est-elle compatible avec la réalité du terrain dans l’atteinte de ces objectifs?

L’enseignant tente de trouver des solutions pour permettre aux filles et aux garçons d’agir physiquement dans la même activité : certaines sont satisfaisantes, d’autres moins. Cependant il est important de garder présent à l’esprit que les élèves sont des adolescents qui tâtonnent eux-mêmes pour apprivoiser un corps qui leur échappe et pour construire des relations avec les autres.

Notes
163.

Voir à ce sujet les annotations libres des enseignants dans l’enquête du CRIS.

164.

Document CRIS Lyon I : enquête sur 6 académies du sud de la France. (2002). Terret T., Cogérino G.

165.

Perrenoud, P. (1984). Déjà cité.

166.

Couchot-Schiex, S. (1999). L’épanouissement des filles passe-t-il par l’EPS ? article du site internet des Cahiers Pédagogiques lié au numéro 372.