II.3. Apprendre par et avec son corps

A partir des finalités qui lui sont prescrites, l’enseignant détient le choix ultime de la sélection des activités. La leçon d’EPS ne saurait être indifférente aux élèves par la mise en jeu qu’elle impose de s’exposer aux autres par son corps. Cette incontournable réalité met parfois les adolescents en difficulté au moment de la construction de leur relation aux autres.

En EPS les apprentissages se font essentiellement par corps 176 . De ce fait, cette pratique physique ne se bâtit pas sans engagement affectif, chacun(e) est amené(e) à mettre en œuvre des processus de distanciation par rapport aux liens sociaux qui se créent. Les autres élèves et l’enseignant sont intégrés dans ce processus de socialisation qui permet à chaque individu de se construire individuellement.

« Les liens sociaux et les manières dont les pratiquants évoluent au sein de ces configurations, […] les modes de transmission constituent les cadres généraux de l’incorporation des savoirs et des savoir-faire » (Faure, 2000).

Apprendre par corps, apprendre dans son corps, dans sa chair représente un enjeu vis-à-vis de l’intégrité corporelle. Devant les autres (élèves de la classe) cette intégrité et cette identité de corps sont à protéger de toute agression. C’est pourquoi il est parfois si difficile pour certain(e) de se montrer aux autres avec toutes ses faiblesses fantasmées ou réelles.

« L’EPS au collège et au lycée a la particularité de mettre en scène les différences entre les sexes dans ce qu’elles ont de plus patent : le corps, à l’âge où elles s’accroissent considérablement » (Motta, 1999 ) 177 .

Corps et âme, corps et sentiments sont indissociablement éprouvés au cours de la pratique physique. A travers ses activités, selon ses possibilités, les relations sociales qu’il crée, l’élève choisit consciemment ou non des orientations pratiques. Il « in-corpore » des gestes et des comportements moteurs et mentaux expérimentés et appris en relation avec d’autres individus (Faure, 2000) comme dans le cadre formel du cours d’EPS. A travers ces apprentissages par corps, on peut mesurer toute l’importance du contexte de la leçon d’EPS. Celle-ci ne saurait être neutre. En effet, ainsi que le mentionnent les textes officiels 178 , son influence sur les enjeux physiques pour la vie présente et future de chacun(e) peut être positive ou négative. L’enseignant ayant la responsabilité des choix et des mises en œuvre dans le contexte de la classe, il ne saurait ignorer ces enjeux pour les filles et les garçons dont il a la charge.

L’école et notre discipline de référence, l’EPS, n’offrent pas un contexte neutre pour l’expérience scolaire des filles et des garçons. Bien que les textes officiels prônent l’égalité de fait, des obstacles se dressent pour sa mise en exercice dans la réalité du terrain. Les phénomènes de relations humaines qui participent de la vie de la classe montrent des éléments de domination masculine qui induisent diverses conséquences suivant le sexe des acteurs en présence. Bien que les vocables en usage (élève, enseignant) soient soigneusement neutralisés, la réalité scolaire expose les enjeux et les difficultés de la gestion des sexes au sein d’un lieu unique et clos. L’EPS en tant que discipline scolaire ne peut se dérober à cette problématique de mixité : le défi qu’elle se doit de relever est de permettre aux élèves des deux sexes d’atteindre et d’accepter des apprentissages corporels bénéfiques dans une relation sociale délicate et lourde de ressenti. Les différences entre les élèves filles et garçons se construisent par un processus identitaire et social qui réserve à chacun(e) selon son sexe une position déterminée dans la société. Le sport, avec lequel l’EPS entretient des liens étroits, n’échappe pas à ces jeux d’identité et de statut sexué pour lesquels les femmes se trouvent en position dominée.

Notes
176.

Faure, S. (2000). Apprendre par corps. Sociologie-anthropologie des techniques de danse. Paris : La Dispute.

177.

Motta, D. (1999). Enseigner le masculin féminin. Agora, 18.

178.

Arrêté du 18 juin 1996 pour les classes de 6ème de collège.