Gestion de l’espace

En EPS le bruit et la mobilité des élèves composent la banalité du quotidien alors que dans les autres disciplines les élèves se doivent de rester assis et silencieux, à l’écoute du discours de l’enseignant. Lorsqu’il (elle) entre dans la classe accompagné(e) par les élèves, l’enseignant se trouve isolé(e) dans un lieu clos, coupé(e) du reste du monde, en compagnie de vingt à trente élèves. Il (elle) pénètre seul(e) dans cet espace où il (elle) doit affronter simultanément la gestion des élèves et le travail scolaire à effectuer. Le premier instant partagé relève d’une grande importance, l’enseignant comme les élèves sont dans l’inconnu de l’autre, des autres. Ce premier contact laissera une impression durable de part et d’autre, on y consacrera le temps nécessaire afin de faire connaissance et de délimiter le cadre de vie de la classe 179 . On parlera alors de climat de classe 180 suivant l’ambiance et les règles définies par l’enseignant et vécues par les élèves. Ce premier contact établit en début d’année se reproduit à chaque cours, l’entrée en contact entre l’enseignant et les élèves est un moment à ne pas négliger. Du fait de cet isolement l’enseignant se trouve en position de vulnérabilité aussi bien intellectuellement, psychologiquement que physiquement (Coffey et Delamont, 2000) 181 .

Il en va de même pour l’enseignant d’EPS, cependant il (elle) est amené à accueillir les élèves dans un lieu souvent décontextualisé du cadre scolaire : un vestiaire, un coin de gymnase, la cour, une pelouse… D’emblée l’EPS se place en dehors du lieu scolaire académique.

L’espace de la classe est façonné par l’enseignant, il lui permet le contrôle permanent sur tous. Il (elle) utilise le bureau pour maîtriser, dominer par le regard, délimiter physiquement un espace qui lui est personnellement réservé et où il (elle) se sent en sécurité. La gestion de l’espace obéit à une symbolique de pouvoir. En EPS, certains enseignants reproduisent inconsciemment cette barrière protectrice en se plaçant derrière un bureau ou un agrès quelconque, en assignant une ligne limitant les espaces réservés à l’enseignant et aux élèves. Les espaces utilisés par l’EPS ne sont pas comparables à ceux d’une classe : ils sont souvent de taille variable, grands terrains ou petites salles, ils sont souvent multiples puisque la classe fréquente divers espaces au cours de l’année, ils sont utilisés de manière mobile au gré des situations : leur gestion est bien différente de celle d’une salle de classe.

L’espace devient un lieu particulier qui marque les différences entre sexes. On voit alors surgir des notions telles que celle de territoire. L’étude anthropologique des espaces s’intéresse aussi à l’espace des corps et de leur topographie et illustre le phénomène de différenciation suivant le sexe des élèves.

« Les garçons ont beaucoup plus d’espace à leur disposition, ils ont davantage le droit d’aller loin de la maison et de partir plus longtemps sans surveillance que les filles qui restent davantage à la maison pour leur travail scolaire ou domestique. Les filles sont enfermées et les garçons mobiles. » (Nespor, 2000) 182 .’

La façon de bouger et d’occuper l’espace serait donc différente suivant le sexe et c’est par l’habitude et la répétition que se naturaliseraient ces actions différenciées. Les espaces féminins et masculins sont multiples : s’exprimant par un espace poreux et flexible pour les filles ; par un espace en réseau, fluide et en expansion pour les garçons. Les répartitions tacites de territoires différenciés (les garçons « dehors », les filles « dedans ») contribuent à fixer les identités sexuées et à engendrer des attirances pour une série de pratiques sociales et culturelles qui sont associées à ces territoires (Lahire, 2002). Par là-même la construction de ces espaces séparés amène les filles à être absentes de la rue et des activités physiques se déroulant dans des espaces publics tels que le skate, le roller, le basket, le football de rue ou le hip-hop qui restent l’apanage des garçons.

L’observation des cours d’école est riche de ces enseignements et confirme les différences mises en évidence par les anthropologues. Les filles sont « sédentaires » et occupent l’espace laissé disponible par les garçons qui sont « nomades » (Zaidman, 1996) 183 . Pour ce qui relève de la question des territoires dans les classes mixtes, on retiendra qu’ils contiennent une hiérarchie de valeurs en conformité avec l’ordre social des sexes : il existe une lutte permanente pour la prédominance de l’espace de la classe. Ce sont les filles qui tentent de conquérir des territoires masculins alors que les garçons ne voient pas l’intérêt de s’intéresser aux territoires des filles ; ils se consacrent seulement à la défense de leur propre territoire. Par contre, au fur et à mesure qu’elles grandissent, les filles éprouvent davantage de difficulté face à cette occupation territoriale se conformant plutôt à leurs stéréotypes de sexe 184 .

Notes
179.

Blanchard-Laville, C. (2003).Rapport aux élèves, rapport au savoir. Souffrances de Profs. Cahiers pédagogiques, 412.

180.

Boumard, P. et Marchat, J-F. (1993). Chahuts. Ordre et désordre dans l’institution éducative. Paris : A. Colin. Enseigner.

181.

Coffey, A. et Delamont, S. (2000). Déjà cité.

182.

Nespor, J. (2000). Topologies of masculinity. Gendered spatialities of preadolescent boys. In N. Lesko, Masculinities at school. (pp.27-48). California: Thousand Oaks, Sage Publications, Collection Research on men and masculinities. (Traduction libre).

183.

Zaidman, C. (1996). Déjà cité.(pp.50-51).

184.

Krüger, H. (1998). Les sexes mixtes et la structure des institutions. In N. Mosconi, (Ed.), Egalité des sexes en éducation et formation, Biennales de l’éducation. Paris : PUF.