II.5. Gestion des groupes

En entrant inopinément dans une classe, un observateur extérieur la percevra comme une entité particulière, autonome, bruyante et confuse : comme un groupe.

D’ailleurs Daniel Anzieu (cité par Pujade-Renaud, 1983) 188 parle « d’illusion groupale » comme d’une « illusion d’appartenir à un groupe rassemblé, à un groupe-corps, à l’intérieur duquel on fusionnerait, totalité imaginaire ». L’enseignant et la classe se fondent dans une même entité, un même groupe.

En éducation physique, la constitution des groupes est une procédure non neutre. Les formes de groupement choisies par l’enseignant produisent des conséquences sur l’apprentissage des élèves. C’est l’enseignant qui gère les groupes en EPS. Les logiques de groupement répondent souvent à la logique de l’APSA enseignée : des groupes homogènes pour les APSA techniques, des groupes affinitaires pour les APSA nécessitant la coopération. Les formes de groupement sont moins tranchées dans les APSA de type sports collectifs ou sports de raquette où l’on retrouve toutes les possibilités, souvent avec une alternance entre groupes homogènes et hétérogènes en fonction de la situation d’apprentissage mise en place 189 . La forme de groupement est souvent considérée comme un moyen pour stimuler la motivation et déclencher une dynamique 190 . Les groupes à faible effectif permettent aux élèves inhibés de profiter de cette dynamique et de dépasser leurs réticences par l’aide et la compréhension de leurs pairs. Un groupe à effectif trop important ne permet pas d’obtenir cette dynamique favorable aux apprentissages. La stabilité du groupe sur la durée du cycle est un gage de travail en coopération, mais le brassage des élèves au sein des groupes favorise l’adaptabilité et une acceptation de tous les membres de la classe. Jouer sur les formes de groupement des élèves permet de développer la coopération et l’entraide ainsi que l’autonomie et la responsabilité. Ces valeurs peuvent être activées plus facilement au travers de certaines activités. Par exemple, la gymnastique et l’acrogym amplifient la collaboration entre les membres du groupe par la différenciation des rôles qui doivent être tenus et qui nécessitent une importante communication entre les élèves. Cependant, l’exploitation des rôles dans le but de favoriser la prise de responsabilité des élèves peut devenir une source d’inégalité entre les sexes. Par exemple, en sport collectif, les garçons sont plus souvent rendus responsables des tâches d’arbitrage pour lesquelles ils développent une certaine compétence et une autorité. Les filles auront du mal à acquérir ces attributs car l’enseignant leur propose rarement de tenir ce rôle ou alors, elles n’osent pas prendre cette place qui les oblige à prendre des décisions rapides et à tenir face à des joueurs souvent contrariés. En gymnastique, quand on demande aux élèves de juger les prestations de leurs camarades, ils sont tout à fait observateurs, mais là encore les garçons tentent souvent de prendre le pouvoir par rapport aux filles dans cet exercice. Dans le même sens, la construction des règles et des codes dans la classe favorise les relations sociales mais celles-ci semblent rapidement se transformer selon le modèle des relations sociales entre les sexes.

Ces exemples contribuent à démontrer le mouvement d’asymétrie qui se met en place en EPS au détriment des filles et en faveur des garçons. Pour Treasure et Roberts (1999) 191 ces situations témoignent que l’EPS est pratiquée dans un climat de performance « par le caractère observable de l’activité physique mais aussi par le système de valeurs auquel ce type d’activité renvoie culturellement, la comparaison sociale est rendue inévitable ». Or, un climat de comparaison en public nuit aux filles qui préfèrent les situations d’anonymat et aux groupes faibles dans lesquels elles sont souvent classées. Une autre forme de groupement consiste à établir des groupes de niveaux afin de faire progresser les élèves dans leurs réalisations motrices. Cette forme de regroupement n’est pas sans incidence du point de vue de l’égalité des sexes. Le plus souvent, les garçons sont répartis dans les groupes forts et les filles dans les groupes faibles, or les groupes forts progressent davantage que les groupes faibles. Cela ne milite pas non plus en faveur de l’équité entre les sexes puisque Good, Sikes et Brophy (1973) 192 observent que les enseignants interagissent plus avec les garçons de haut niveau qu’avec les filles de haut niveau.

La gestion des groupes démontre des effets bénéfiques essentiellement pour les garçons quelles que soient les modalités de groupement mises en place par l’enseignant. Ce dernier peut aussi jouer sur un autre paramètre : les propositions d’apprentissage.

Notes
188.

Pujade-renaud, C. (1983). Déjà cité.

189.

Bordes, P. (2002). Les regroupements d’élèves en classe d’éducation physique. Revue EPS, 298.

190.

Méard, J. et Bertone, S. (1998). Déjà cité.

191.

Treasure et Roberts (1999). EP.S interroge des chercheurs en psychologie du sport. Revue EP.S, 280, 9-13.

192.

Good, T., Sikes, J. et Brophy, J. (1973). Effects of teacher sex and student sex on classroom interaction. Journal of Educational Psychology, 71,74-87.