II.2. Petits mais déjà différents

Dès l’enfance, les filles et les garçons construisent une identité sexuée différente. La construction de l’identité sexuée est un processus d’abord expliqué par la socialisation primaire dans la famille puis par une socialisation secondaire à l’école.

Pour Nilan (2000) 236 ce processus de construction de l’identité sexuée par la modélisation d’une socialisation primaire puis secondaire doit être dépassé. De nouveaux travaux basés sur des méthodologies empiriques, permettent des apports complémentaires, s’intéressant tout particulièrement à la formation de l’identité dans la relation éducative (Corrigan, 1991 237  ; Thorne, 1993 238 ; Jordan, 1995 239 ) ou sportive (Todd, 1998) 240 pour les pays anglo-saxons et en France (Menesson, 2000 241  ; Terret, 2004 242 ). Ces récents apports permettent de passer d’une théorie unique de la socialisation à des théories multiples qui valorisent la pratique, le contexte et le pouvoir institutionnel dans la construction des rôles de sexe. Les études sur la masculinité, actuellement en plein développement, illustrent parfaitement le passage d’une modélisation de la construction sexuée à des modélisations plurielles. Connell (1995) 243 avait ouvert la voie de cette remise en question d’une construction uniforme de l’identité sexuée expliquée par la seule force de l’adhésion aux modèles sociaux forgés par les stéréotypes. Cet auteur a permis de passer de l’idée d’une masculinité type dite « hégémonique » à la reconnaissance de masculinités multiples par l’expression de divers degrés de masculinité « subordonnées » ou « complices ». Est dite « masculinité hégémonique », l’expression des caractères proches des stéréotypes du « vrai » homme fondé par l’ordre patriarcal et qui occupe une place de domination au sein des relations de genre. La masculinité peut également s’exprimer à travers des caractères dominés qui conduit les individus à une certaine oppression sociale comme le sont par exemple les masculinités homosexuelles. L’idéal hégémonique reste cependant peu accessible à la majorité des hommes qui construisent au quotidien des types de relations masculines « complices », en accord avec l’idéal hégémonique mais conciliante avec la réalité individuelle (Terret, 2004). Ces travaux ont permis de passer d’une approche opposant masculinité et féminité à une approche singularisant les diverses positions envisageables : « de la masculinité aux masculinités » 244 .

Chez les jeunes garçons, la masculinité ne se réfère pas à la seule essence « mâle » mais se définit davantage par la prise de position que les garçons doivent exercer dans leurs interactions quotidiennes. La construction « des masculinités » est un processus sans fin, la conformité au masculin doit sans cesse se développer et se maintenir à travers les discours et les actions avec les pairs. « En bref, le contexte conduit les masculinités à se construire, tout au long de la vie, et à être prouvées chaque jour » (Nilan, 2000).

Les illustrations suivantes permettent d’imager dans quel cadre s’expriment les positions que les garçons et les filles prennent au cours de leurs expériences quotidiennes.

Par contraste, les filles expriment des positions autres illustrées ci-dessous :

Les expériences vécues par les filles et les garçons sont donc bien différentes, hors de l’école aussi, d’ailleurs les sociologues le confirment dans les activités de loisir, les jeunes choisissent aussi des activités socialement sexuées (Boyer, 1991 ; Théberge, 1995) 248  : les filles préfèrent l’écriture et les garçons les jeux vidéos ou le sport.

Ainsi les filles et les garçons se construisent différemment et s’expriment selon des moyens différents privilégiant tel type de jeu, d’attitude, de comportement… . Cependant si cette différence est aussi criante, c’est parce qu’elle fait l’objet d’une comparaison directe entre les enfants des deux sexes.

Notes
236.

Nilan, P. (2000). ‘You’re Hopeless I Swear to God’: shifting masculinities in classroom talk. Gender and Education, 12 (1), 53-68. Taylor & Francis Ltd. (traduction libre).

237.

Corrigan, P. (1991). The making of the boy. In A. Giroux (Ed.), Postmodernism, Feminism and Cultural Politics. Albany, NY : State University of New York Press.

238.

Thorne, B. (1993). Gender play : girls and boys in school. Buckingham : Open University Press.

239.

Jordan, E. (1995). Fighting boys and fantasy play : the construction of masculinity in the early years of school. Gender and Education, 7, 69-86.

240.

Todd, J. (1998). Physical Culture and the body Beautiful, Macon, Georgia, Mercer University Press.

241.

Menesson, C. (2000). Des femmes dans le monde des hommes. La construction de l’identité des femmes investies dans un sport ‘masculin’. Analyse comparée du football, des boxes poings pieds et de l’haltérophilie. Thèse de doctorat en sciences sociales, Université de Toulouse.

242.

Terret, T. (2004). Sport et masculinité : une revue de questions. STAPS, 25 (66), 209-225.

243.

Connell, R.W. (1995). Masculinities, Berkeley and Los Angeles, CA, The University of California Press. (cité par Terret, 2004).

244.

Titre emprunté à Terret T. (2004). Déjà cité.

245.

Baudelot, C. et Establet, R. (1992). Déjà cité. (p.110).

246.

De Beauvoir, S. (1949). Le deuxième sexe. Paris : Gallimard.

247.

Belotti, E.G. (1973). Du côté des petites filles. Paris : Des femmes.

248.

Boyer, R. (1991). Identité masculine, identité féminine parmi les lycéens. Revue Française de Pédagogie, 94 , 13-18.

Théberge, N. (1995). Sport, caractère physique et différenciation sexuelle. Sociologie et sociétés, XXVII,105-116.