II.3. Position subordonnée des femmes

La différence entre les sexes peut être considérée comme une évidence, il a pourtant fallu en démontrer toute la théorie, laquelle a permis d’accéder à la notion de genre.

La discrimination permet la comparaison entre les femmes et les hommes. Or si la femme est considérée comme « le beau sexe » elle en porte également toute la faiblesse et se trouve mise en position de dominée. Les différences ne sont significatives qu’au regard d’une norme, celle-ci se trouve être celle du masculin : érigée en norme dominante et universelle. Femmes et hommes composent ainsi des positions asymétriques du monde humain.

L’homme représente l’universel, la femme le différent.

La femme est entendue au négatif, privée de qualité, comme un « manque à être » (Anzieu, 1997) 249 . Ses qualités propres ne sont pas reconnues en tant que telles, mais sont inévitablement comparées à celles des hommes. La femme serait au mieux différente de l’homme, souvent inférieure, une exception à la règle masculine. Or, penser la femme comme une exception (Pommier, 1996) 250 c’est encore l’enfermer dans un statut la comparant à la norme universelle de l’homme et donc la maintenir dans son statut inférieur.

En définitive, la catégorisation des sexes se concrétise autour du concept de nature et produit des différences entre femmes et hommes. Cependant, elle échoue à rendre compte des inégalités sociales des sexes et de leurs relations asymétriques dans les constructions mentales. La plupart des travaux qui se sont attachés à étudier les « effets du rapport de domination sur les représentations et les pratiques » ont été menés par des femmes. S’ils ont permis la distinction entre sexe et genre, ils portent l’empreinte du féminisme à l’origine essentiellement anglo-saxon.

« Cette distinction associe à la notion de sexe les caractéristiques biologiques et à la notion de genre les attributs psychologiques les activités et les rôles et statuts sociaux culturellement assignés à chacune des catégories de sexe et constituant un système de croyances dont le principe de la détermination biologique est le pivot. » (Hurtig, Kail, Rouch, 2002) 251 .

C’est surtout à l’anthropologie et la sociologie que nous devons les études sur la différence des sexes vue comme « le produit de constructions sociales reposant sur des stéréotypes et une domination masculine qui aurait organisé une partition des rôles sociaux » 252 . C’est à partir de cette thèse que s’est ouvert la voie des travaux sur le genre et qui a montré que : « Le genre a trait non à la différence mais à la différenciation sociale des sexes » 253 .

Les femmes et les hommes peuvent choisir d’être plus ou moins en accord avec les attributs et les valeurs attachés aux stéréotypes de leur propre sexe. Ils construisent ainsi leur identité de genre à travers l’expression de la conviction intime qu’ils ont d’être femelle ou mâle. Pour Perrot :

« Le genre précède le sexe et le module, le corps n’est pas la donnée première, il est représentation et lieu de pouvoir » 254 .

La problématique de la position sociale des deux groupes de sexes est majeure dans l’organisation sociale et tout autant dans le monde du sport, de l’école et de l’EPS, bien qu’elle y soit souvent masquée. Les non-dits sont parfois davantage révélateurs de difficultés profondes ou de malaises soutenus que les déclarations proclamées.

Par la voie du genre, la hiérarchisation des sexes peut être abordée d’une manière renouvelée : se pose alors sous un angle différent la question du pouvoir. A l’origine, la différence de nature entre les deux sexes suffisait à argumenter les enjeux de hiérarchie et l’accès au pouvoir. Le possesseur du pouvoir était le chef, le plus viril, le plus fort, … donc l’Homme. L’évolution des rapports entre les sexes modifient (lentement) cette évidence.

L’ordre patriarcal s’est emparé de l’asymétrie homme/femme au détriment de ces dernières afin de les maintenir dans un non-statut exclusivement défini par le père ou le mari. Dans l’enjeu de pouvoir qui existe entre les sexes, le genre n’occupe qu’une place seconde. Même au sein d’une fratrie, les garçons ont l’ascendant sur les filles. Ils réussissent davantage à s’imposer que les filles, quel que soit le rang de naissance (Widmer, 1999) 255 .

Max Weber (cité par Widmer) 256 définit le pouvoir comme « la capacité à faire prédominer ses vues sur celles d’autrui dans une relation sociale », ce qui illustre parfaitement la place des hommes dans la société actuelle, dans le sport et dans l’institution scolaire. Le pouvoir implique une forme de contrôle sur l’autre, il s’établit à l’intérieur d’une relation entre le dominant et le dominé qui se place dans une position de soumission active, il accepte rarement une totale dépendance. La relation de pouvoir s’établit sur des facteurs multiples comme le conflit, la sociabilité, les coalitions, qui permettent la hiérarchie et l’interdépendance. Pour Widmer (1999) la possession du pouvoir dépend donc des ressources personnelles de chacun(e) pour la création d’une relation de domination. Or, pourquoi les filles ne développeraient-elles pas ces ressources ? Celles-ci permettant l’accès au pouvoir relèvent-elles exclusivement du masculin?

Le rapport de pouvoir doit nécessairement être activé au cours des interrelations. Pour garantir cette affirmation on peut observer deux types d’attitudes. L’opposition entre les sexes est reconnue dans cette situation et produit une exclusion mutuelle qui place les femmes en position subordonnée. Dans un groupe mixte, les femmes restreignent leur comportement de domination, adoptant spontanément des comportements expressifs, alors que les hommes maintiennent leur attitude dominante en y ajoutant des comportements expressifs.

Par ailleurs, la position de domination d’un sexe sur l’autre génère des comportements différents selon qu’elle est exercée envers un homme ou une femme : « les hommes dominants sont choisis comme partenaires, les femmes dominantes sont choisies comme adversaire » (Lorenzi-Cioldi, 1988).

La différenciation des pôles comportementaux (instrumentalité versus expressivité) s’articule à travers les représentations sexuées et les rapports interactionnels des hommes et des femmes. Elle montre une accentuation de l’opposition, de l’exclusion des individus de l’autre sexe, de la prise en compte de l’identité collective fondée sur les normes sociales au détriment de l’identité personnelle, ancrant les femmes dans leur position de subordination. Ce constat se fonde sur le phénomène social « d’androcentrisme » (Hurtig et Pichevin, 1996) par lequel les normes masculines sont généralisables et représentent les normes universelles. Il renforce l’impression que les femmes forment un groupe minoritaire, à part, déviant par rapport à la norme, alors que les hommes représentent des individualités.

Actuellement, on note une modification des rapports des sexes dans le sens d’une homogénéisation 257 . Celle-ci est sans doute moins rapide qu’on ne l’aurait espéré il y a une vingtaine d’années. Elle évolue selon une croissance non linéaire au gré de ruptures ou de régressions qui apparaissent lorsque les individus (surtout les hommes) se sentent mis en danger par les acquis des femmes. On peut faire l’hypothèse que si l’élan vers une homogénéité se fait dans le sens du modèle masculin, autour des valeurs instrumentales et de compétition, alors un tel essor marquerait un appauvrissement de la vie sociale. En effet, les femmes ont des qualités à faire valoir et à mettre en relief qui permettraient a la société de progresser vers davantage d’humanité. Les relations entre femmes et hommes gagneraient donc à se fonder sur la complémentarité et l’échange, l’acceptation d’apports différenciés permettant d’accroître la créativité.

Ayant éclairé les relations sociales qui régissent les deux sexes, nous envisagerons dans ce nouveau paragraphe comment elles s’établissent en particulier au sein de la société sportive.

Notes
249.

Anzieu, A. (1997). Déjà cité.

250.

Pommier, G. (1996). L’exception féminine. Paris : Aubier.Cet auteur écrit « Son exception confirme la règle qui régit l’univers masculin », tout en voulant accordé un statut autre à la femme, il entérine l’universalité masculine pour laquelle la femme ne peut avoir qu’un statut autre, supplémentaire de celui de l’homme.

251.

Hurtig M.-C., Kail M., Rouch H., (Eds.), (2002). Déjà cité.

252.

Dossier collectif. (2004). Hommes/femmes, quelles différences ? Revue Sciences Humaines, 146, 21-39.

253.

Michard, C. (1997). Approche matérialiste et sémantique du genre en français contemporain. In M.C. Hurtig et M.F. Pichevin, Sexe et genre. Paris : CNRS. (p.69).

254.

Perrot, M. (1995). Identité, égalité, différence. Le regard de l’Histoire. In EPHESIA , La place des femmes: les enjeux de l’identité et de l’égalité au regard des sciences sociales. Paris : La Découverte.

255.

Widmer, E. (1999). Les relations fraternelles des adolescents. Paris : PUF.

256.

Weber, M. (1971). Economie et société. Paris : Plon.

257.

Touati, A. (1994). (Ed.), Femmes & hommes, Des origines aux relations d’aujourd’hui, Marseille : Hommes et perspectives..(pp.7-14).