III.1. Identité sportive : un accès réservé aux hommes… aux vrais

Nous limiterons nos remarques à la période moderne, celle du renouveau sportif qui émerge en France à la fin du 19ème siècle, sous l’influence du modèle anglais.

En Angleterre, on pouvait observer nombre de jeux et d’épreuves originales qui constituaient, pour un observateur étranger, un excellent « dérivatif » pour « se reposer du travail » 262 . A la fin de la semaine, les anglais rament, patinent, se disputent des courses de haies, jouent au cricket ou au rugby…

Progressivement c’est toute une structuration et une organisation qui vont permettre la transformation de ces jeux et pratiques diverses en « sports ». On voit, par exemple naître une organisation en « club » qui innove une nouvelle forme sociale accessible à tous les hommes, qui se veut démocratique et définit un calendrier de rencontres échelonnées dans le temps. Les règles qui définissent le jeu sont spécifiques et unifiées, permettant leur universalisation. Les jeux et pratiques libres et désordonnées s’érigent en une organisation qui transcende les frontières géographiques et sociales : le sport.

Le sport s’empare des valeurs sociales les plus appréciées comme celle de performance qui détient une connotation notoire à l’heure industrielle. Ces valeurs sont également celles de la société française de l’époque, c’est pourquoi elles sont utilisées comme fondement de l’univers sportif favorisant la performance et le record (Vigarello) 263 . D’un univers micro-social, le sport s’est érigé en contre-société de plus en plus puissante, profitant du déclin de la religion dans le champ social, permettant l’accès à d’autres représentations. C’est un nouvel espace qui s’ouvre, favorisant les identifications de type héroïque, qui se constituent en mythe : mythe de l’exemplaire, du héros, de l’égalité, du surhomme… les « Dieux du stade » sont nés.

« L’institution sportive a été créée par des hommes pour d’autres hommes, pour en faire des hommes, pour qu’ils maintiennent leur combativité, leur fraternité, (…) ; son fonctionnement a été élaboré à partir d’une vision sexuée du monde ». Baillette, 1999) 264 .

Ces valeurs et ces pratiques sont celles des hommes : le sport est une pratique prioritairement masculine 265 . On y rencontre l’agressivité, l’émulation, le goût du dépassement, de l’affrontement qui sont des caractéristiques attribuées socialement aux hommes. « Le sport est une arène masculine qui, non seulement excluait les femmes, mais aussi faisait de la domination masculine une relation naturelle » (Terret, 2004).

En voulant se hisser au niveau des hommes et assimiler leurs pratiques, les femmes se trouvent mises en porte à faux avec le monde sportif. Une femme sportive ne pourra jamais représenter l’idéal sportif puisque celui-ci est par construction, décidément masculin.

« Le sport se fonde sur un lien libidinal entre hommes dont la femme est exclue. En s’appropriant progressivement le sport, en entrant dans cette foule d’hommes, elle se heurte à une organisation structurée sur un mode d’idéalisation masculinisée : elle provoque donc le scandale, étant inadaptée à l’idéal de l’homme qu’est la rencontre sportive. » (Labridy, 1989) 266 .

L’organisation sociale du système sportif illustre particulièrement la hiérarchie des sexes dans laquelle les femmes occupent une position dominée. Au-delà de cette disposition fataliste les femmes peuvent-elles espérer accéder à ce nouveau territoire ?

Notes
262.

Taine, H. (1883). Notes sur l’Angleterre. Paris (p.128). Cité par Vigarello, G. (2000). Passion sport. Histoire d’une culture. Paris : textuel. (p.101).

263.

Vigarello, G. (2000). Passion sport. Histoire d’une culture. Paris : Textuel. (p.106).

264.

Baillette, F. (1999). La mâle donne. In F. Baillette et P. Liotard (Eds.), Sport et virilisme. Montpellier : Quasimodo & Fils. (p.59).

265.

Labridy, F. (1989). Déjà cité.

266.

Labridy, F. (1989). Idem.