III.2. Accès possible aux femmes… sous réserve

Quelle(s) place(s) les femmes peuvent-elles occuper dans cet espace social spécifiquement masculin ? Depuis l’origine du sport moderne, elles cherchent à s’inclure dans sa dynamique tandis que les hommes leur en refuse l’accès. Cette lutte des femmes pour la pleine accession à une pratique sportive égale à celle des hommes n’a pas encore atteint ses limites.

A l’origine, les médecins et les éducateurs concèdent aux femmes un droit d’accès aux pratiques physiques dans un souci d’hygiène et de santé à la condition qu’elles imitent les pratiques masculines. Des arguments biologiques et des arguments moraux sont avancés pour justifier de cet état d’esprit qui limite leurs pratiques et les soumet à la domination médicale et à la référence masculine. Ainsi, c’est en mettant en avant des arguments biologiques et physiologiques que le Docteur Boigey établit en 1922 toute une liste d’interdits contre-indiquant la pratique de certains sports aux femmes et notamment ceux utilisant la force, les efforts soutenus ou encore les gestes explosifs… Les disciplines fondées sur la liste de ces interdits sont catégorisées comme masculines et leur sont censurées.

Peu à peu, à la faveur de l’émancipation féminine des années folles, les pratiques mixtes vont être mieux acceptées à condition qu’elles se limitent au cadre d’un sentiment de camaraderie issu des valeurs masculines. Néanmoins les comportements sociaux vont évoluer et favoriser l’émergence de la femme sportive. Mais l’imaginaire social conserve l’idéal des gestes accessibles à la femme : douceur, grâce, souplesse et élégance.

« L’imaginaire social confère encore de nos jours des représentations symboliques opposées aux sexes. En matière de sport les femmes restent en devanture, symbolisent l’éternel féminin dans le champ des représentations hors du monde instrumental, de ce qui est muscle, sueur, force et technique. » (Midol, 1989) 267 .

Ces évolutions conduiront à l’adaptation pour les femmes du règlement des compétitions approprié à la pratique masculine par une simplification les rendant accessibles à leurs capacités physiques « déficitaires ».

Plus tard, les années 1970 ouvrent de nouvelles perspectives par le développement massif des pratiques non compétitives 268 . La conjonction du développement des équipements sportifs accessibles au plus grand nombre et d’une politique favorisant l’encadrement des pratiques à tous les niveaux, ainsi que les nombreuses innovations technologiques permettent un changement qualitatif qui va vers une massification des activités physiques. A pas mesurés mais avec ténacité, les femmes conquièrent ainsi les pratiques qui leur avaient été interdites. La féminisation répond à des logiques différentes suivant les sports et contribue à la lutte contre une « vision archaïque » (Vigarello, 1988) 269 et dépassée du rapport que les femmes entretiennent avec le sport.

Un renversement des valeurs symboliques féminines et masculines permet l’évolution dans les modes de pratiques 270 et la promotion du mouvement sportif féminin de haut niveau. Le glissement des symboliques favorise alors l’appropriation par les femmes des pratiques « dures » (body building, marathon, cyclisme sur route…) et de manière corollaire l’investissement par les hommes de pratiques esthétisantes et d’expression (danse, yoga, step, fitness…).

Aujourd’hui les femmes disputent aux hommes les territoires les plus typiquement masculins, l’intensité et le niveau des compétitions sont de plus en plus relevés, l’écart entre les pratiques s’estompe. Une appropriation généralisée est en train de se réaliser, les épreuves athlétiques autrefois réservées aux hommes leur sont permises depuis peu : triple saut, perche, marteau, steeple…. Les femmes sont à même de produire un alignement sur les standards du sport masculin : « Ce sont les mêmes règlements, les mêmes techniques, les mêmes performances à quelques années de distance » (Arnaud, 1996) 271 . Malgré tout, un parallélisme des compétitions et des performances est maintenu. Les hommes et les femmes ne se retrouvent jamais en concurrence directe. Les pratiques mixtes sont rares, souvent réservées à la sphère des loisirs. Les femmes ne se confrontent qu’entre elles 272 .

Une longue évolution sociale a permis aux femmes d’accéder aux pratiques sportives, mais elles doivent alors relever un nouveau défi : assumer leur identité de sportives.

Notes
267.

Midol, N. (1989). Déjà cité. (pp.233–239).

268.

Louveau, C. et Métoudi, M. (1986). Déjà cité.

269.

Vigarello, G. (1988). Une histoire culturelle du sport. Techniques d’hier et d’aujourd’hui. Paris : Revue E.P.S., Robert Laffont.

270.

Midol, N. (1989).Idem.

271.

Arnaud, P. (1996). Le genre ou le sexe ? Sport féminin et changement social. In P. Arnaud et T. Terret. (Eds.), Histoire du sport féminin. Sport masculin- sport féminin : éducation et société. Paris : L’Harmattan.

272.

Labridy, F. (1987). Déjà cité.