III.3. S’assumer comme femme sportive cela ne va pas de soi

Les femmes ont souhaité accéder à la pratique sportive au même titre que les hommes car celle-ci leur semblait hautement désirable et leur permettait de se hisser « au niveau » des héros du sport.

La pratique physique engage le corps, elle ne peut être acceptée qu’à la condition de ne pas heurter les normes culturelles et sociales. Toutes les femmes ne souhaitent pas pratiquer un sport. Certaines acceptent les pratiques qui ne heurtent pas leur symbolique féminine, d’autres sont attirées par les pratiques les plus masculines, les plus « dures » sans renier leur féminité et sans intérioriser des compétences socialement définies comme masculines : « elles se revendiquent comme de « vraies femmes » 273 .

« Si les sportives s’avouent sans inhibition aucune pour tous les sports, même ceux réputés les plus masculins, cela ne signifie pas que toutes les femmes feront du sport » (Labridy, 1989) 274 .’

Certaines femmes assument pleinement et sans déchirement le fait d’être des femmes sportives qui pratiquent des sports « d’homme ». Mais souvent, les femmes athlètes de haut-niveau se trouvent face à un conflit « d’auto-identification et d’estime de soi » (Cagical, 1981) 275 par l’exercice d’une pratique qui rompt avec les rôles sociaux traditionnellement dévolus aux femmes (Cagical, 1981 ; Oglesby, 1982 276  ; Thomas, 1993 277 ). Par exemple, on remarque que les femmes qui pratiquent des sports où le corps se muscle beaucoup sont confrontées à ce conflit interne entre l’acceptation d’un physique musclé et la conformité à l’idéal corporel féminin. D’ailleurs, moins de femmes choisissent ces pratiques « de muscle » au fur et à mesure que leur conformité à l’identité féminine s’éloigne. D’autres activités sont également plus difficilement pratiquées par les femmes :

« Les activités impliquant un contact avec le corps de l’adversaire, l’application à un objet lourd, une propulsion du corps dans l’espace sur une longue distance ou une compétition en face à face, sont moins souvent considérées comme aptes à favoriser les qualités féminines. » (Oglesby, 1982).

Le sociologue Thomas (1993) argumente dans le même sens qu’Oglesby. Les sports privilégiés par les femmes sont ceux qui ne sont pas trop violents et plutôt en installations intérieures. Les stéréotypes demeurent, confortés par les transmissions imagées des médias. L’effort physique exagéré, démesuré, exhibé par les sportives est considéré comme intolérable à la plupart des hommes et des femmes. La violence des contacts corporels n’est pas davantage supportable, elle exhibe une violence pulsionnelle sous couvert de la maîtrise technique. La psychanalyste Labridy (1989) s’interroge et fait remarquer que si la violence est perceptible dans les pratiques « masculines » ; qu’en est-il des pratiques traditionnellement féminines dans lesquelles la douleur de l’effort est masquée par un sourire charmeur comme c’est le cas en danse, natation synchronisée, gymnastique rythmique, patinage artistique ?

« On ne s’interroge guère sur la violence de l’effort fourni par la danseuse dont la grâce et le sourire enthousiasment le public. Les disciplines traditionnellement féminines ont ainsi une éthique qui répond à cet impératif en intériorisant totalement la notion d’effort. » (Labridy, 1989).

En définitive, une femme ne peut être reconnue femme dans sa pratique sportive que si elle surajoute à sa technique propre des techniques de féminité en tant que normes identitaires (Biache, 1996) 278 . Tout comme la femme qui s’affirme est taxée de « virile » et est socialement « mal vue », Louveau (1987) 279 démontre que la femme sportive se doit de montrer sa féminité et de mettre en œuvre des artifices afin de maintenir une apparence de femme :

« La sportive se doit d’être jolie, séduisante, charmante, sexy. Certaines sont soucieuses de marquer leur appartenance au genre féminin en surajoutant de la féminité (ongles longs et peints, tenues érotisées, moulantes, port de bijoux, maquillage, sourire enjôleur…) » (Louveau, 1987).

Le dilemme de la sportive, c’est qu’elle doit en même temps atteindre les critères techniques du sport et être identifiée comme une femme dans sa pratique, ce qui la soumet à une « confusion de genre » qui l’oblige à s’affranchir des obstacles sociaux. Sur le plan corporel, l’image de la femme sportive est plutôt positive mais elle reste éloignée de la femme idéale. Or cette image du corps féminin est ressentie à travers la perception que les autres renvoient : « L’intérêt des autres pour le physique d’un individu peut être responsable pour partie de sa propre attitude par rapport à son propre corps » (Oglesby, 1982) 280 . Au regard des autres, la sportive accomplie n’a plus un corps féminin, les caractères de la féminité se sont effacés, elle serait disgraciée et disgracieuse (Baillette, 1999) 281 . On peut donc dire que certains types de physiques sont associés à l’image d’un corps sportif mais que ces images sont différentes pour les femmes et pour les hommes et qu’elles perdurent.

A part le type d’effort développé par l’activité, l’âge et le sexe sont les autres critères les plus différenciateurs du choix de la pratique sportive 282 .

‘« Les usages sexués du corps intéressent et influencent l’ensemble de la vie physique des individus ». (Coupey, 1995).’

Les particularités des pratiques sportives féminines sont l’expression des habitudes corporelles et sociales de la différence des sexes. A ce titre, parler d’un sport au féminin en termes de spécificité revient à reproduire ces stéréotypes et à les utiliser pour spécifier et pour justifier les particularités liées au sexe. Ces attitudes entraînent une représentation des sports féminins comme une pratique sportive marginale, trop exceptionnelle pour l’ensemble des femmes, ce qui renforce l’apparente masculinité de l’image des sportives. Reconduire les rôles masculins et féminins en séparant les sexes est une solution négative au problème de l’accès des femmes à la pratique sportive (Davisse et Louveau, 1998) 283 . Pourtant l’évolution continue, en quelques années le sport féminin a fait des adeptes dans un large public. C’est ainsi que plus de 12 millions de téléspectateurs ont suivi la finale féminine des championnats du monde de handball en 1999 entre la France et la Norvège. Un record pour une épreuve féminine 284 . Depuis cette date, les femmes assument fréquemment cette position de spectatrices en dehors des pratiques traditionnellement féminines comme le patinage artistique. Elles sont de plus en plus nombreuses à être comptées dans les rangs des supporters des équipes de football.

Les femmes sont aujourd’hui sportives (presque) au même titre que les hommes, cependant leurs pratiques demeurent différentes et cela pose un problème de visibilité du sport féminin. C’est dans ce but qu’ont été mis en place une aide et un soutien institutionnels.

Notes
273.

Laufer, J. Marry, C. et Maruani, M. (2003). (Eds.), Le travail du genre. Les sciences sociales du travail à l’épreuve des différences de sexe. Paris : La découverte, Mage. Collection Recherches. (p.54).

274.

Labridy, F. (1989). Déjà cité.

275.

Cagical, J.M. (1981). Déjà cité.

276.

Oglesby, C. A. (1982). Le sport et la femme, du mythe à la réalité. Paris : Vigot.

277.

Thomas, R. (1993). Sociologie du sport. Paris : PUF.

278.

Biache, M-J. (1996). Déjà cité.

279.

Louveau, C. (1987). Talons aiguilles et crampons alus. Paris : INSEP.

280.

Oglesby, C. A. (1982). Déjà cité.

281.

Baillette, F. (1999).Déjà cité. (p.49).

282.

.Stamm, H. et Lamprecht, M. (1997). Loisirs, sports de masse, différenciation et distinction sociale en Suisse, in E. Perrin (Ed.). Sociologie du sport, Etudes et recherches du GISS, Genève.

283.

Davisse, A. et Louveau, C. (1998).Déjà cité.

284.

Dossier sport et parité. (2004). Les filles à la hauteur. Quand les filles se mettent au sport. Revue UNSS, 123, 6-8.