III.4. Pour une mixité sportive

Les femmes ont su s’introduire dans le sport, mais on leur concède toujours un statut différent de celui des hommes. Leurs pratiques ont tendance à être euphémisées par rapport aux pratiques masculines. C’est pourquoi le Ministère des Sports souhaite développer à la fois les pratiques féminines mais également les pratiques en mixité par le biais d’initiatives mises en place à cet effet : cela relève parfois de la gageure.

En 2000, 48% des sportifs sont des sportives. Ce pourcentage est révélateur de la féminisation des pratiques. Celle-ci doit être relativisée car une autre enquête sportive pointe deux ans plus tard que les 2/3 des licences sportives sont détenues par des hommes 285 . Ces statistiques montrent bien que la plus grande part de la pratique sportive ne se développe pas dans le cadre institutionnel. Pourtant les responsables sportifs ont tendance à sous-estimer ce phénomène car les pratiques des femmes sont moins visibles que celles des hommes : elles sont plus autonomes, moins liées aux structures sportives, davantage orientées vers l’entretien physique individuel. La recherche de pratiques ludiques liées au bien-être et au domaine récréatif est davantage choisie par les femmes.

Néanmoins, la pratique féminine est une préoccupation du Ministère des Sports. On voit ainsi des commissions se pencher sur les problèmes ressentis par les femmes dans leur accès à la pratique physique (Deydier, 2004) 286 et émerger des pistes de solution proposant d’adapter les règles du jeu de certains sports au public féminin. Ainsi la FF de Judo a créé le Tai-so approche douce du judo, et la FF de basket-ball indique que l’opération « génération basket Filles », initiée en Ile-de-France il y a deux ans, a permis l’augmentation de la participation des filles grâce à la modification des règles du jeu privilégiant la course, l’endurance et les logiques de passe plutôt que la « détente sèche » plus physique. Nous ne pouvons nous empêcher de nous interroger sur ces nouvelles voies d’accès. Constituent-elles un réel progrès ou y retrouve-t-on en filigrane le symbole de « l’inefficace sportive », dont on mesure l’incapacité au degré d’adaptation des règles ?

L’adaptation de la sphère sportive pour les femmes entraîne de réel bouleversements synonymes de complications qui ne militent pas en faveur de ces dernières et sont accentuées par le fait que les dirigeants sportifs ne considèrent pas ce public comme le leur. Une attitude courante consiste à considérer que les clubs et les équipements étant ouverts à tous, les femmes n’ont qu’à y venir d’elles-mêmes. Cet argument cavalier ne prend pas en compte la sensibilité et les souhaits des femmes. Leurs attentes spécifiques sont peu prises en compte par le mouvement fédéral sportif qui reste centré sur la pratique compétitive et la formation des jeunes (garçons). Les filles expriment des considérations inhabituelles de la part des garçons : elles sont plus sensibles à l’environnement et aux éléments matériels de la pratique et à l’ambiance dans les clubs. Elles regrettent par exemple de ne pas disposer de maillots neufs et de devoir porter ceux utilisés par les garçons.

Au-delà de l’accès à la pratique sportive des femmes, le ministère vise l’enjeu de la mixité. Le 16 octobre 2003, un groupe de travail « Femmes et sport » a été mis en place pour veiller au respect de la mixité dans le sport. La mixité dans le sport serait à même de rapprocher les deux sexes. Les terrains de sports se doivent d’être des lieux de rapprochement et de compréhension entre les deux sexes et non des lieux d’affrontement et de mépris réciproque. Par exemple, la mixité peut s’exprimer au sein de l’encadrement sportif dans lequel les femmes trouvent de plus en plus souvent leur place. Elles investissent les postes à responsabilité et maintiennent leur rôle plus longtemps que les hommes. Cependant, on ne peut s’empêcher de remarquer que ces rôles correspondent le plus souvent aux rôles sociaux féminins : ils se déclinent en encadrement technique, gestion d’équipe, communication, gestion financière. Bien que les obstacles institutionnels s’émoussent, les obstacles symboliques sont les plus longs à dépasser. Certes les fonctions dirigeantes sont ouvertes aux femmes (surtout dans les fédérations à fort taux de licenciées) mais la représentation de la division sexuelle cadre leur implication dans des espaces techniques plutôt que dans ceux de responsabilités. Là encore, un décalage important existe entre l’investissement réel des femmes au sein des sociétés sportives et la perception de cet engagement par les responsables du monde sportif et par le public en général. Les femmes s’investiraient-elles dans l’ombre des hommes ? 287

Ces évolutions restent insuffisantes. Dans l’espoir de faire bouger ces stéréotypes et profitant des retombées des Jeux Olympiques d’Athènes, un plan d’action orchestré par le Ministère des Sports a vu le jour en septembre 2004. Il vise à mettre en avant les différents rôles occupés par les femmes, souvent en dehors des pôles compétitifs les plus médiatisés et d’en souligner les aspects de santé, de famille, de convivialité, auxquelles elles sont attachées.

Le décret du 7 janvier 2004 introduit une démarche volontariste dans le statut des fédérations, un principe de proportionnalité entre le nombre de sièges dont les femmes doivent disposer et le nombre de licenciées éligibles. Il paraît cependant regrettable d’imposer la parité pour favoriser l’égalité. Même si l’enjeu est louable, il faut se résigner à contraindre davantage que convaincre.

En définitive on peut dire que malgré tout la pratique des femmes reste en deçà de celle des hommes. Elle demeure occasionnelle, se réduit souvent au cadre familial par la participation à un moment de détente et de convivialité. Les femmes acceptent la pratique sportive à condition que celle-ci corresponde à une image souhaitable : un moment de jeu avec les proches ou les amis, ou une pratique esthétisante dans un groupe de pairs. Les pratiques féminines se déroulent selon des modalités multiples, éparpillées 288 . Toutes les femmes n’accèdent pas de la même manière à la pratique physique : plus elles sont jeunes, citadines, célibataires, avec une profession appartenant à la catégorie des « cadres et professions intellectuelles supérieures » assurant des revenus confortables, un niveau d’étude supérieur au baccalauréat, plus elles ont de probabilités de pratiquer (Louveau, 1998). Ainsi une femme qui travaille trouvera le temps d’accéder à une pratique physique alors qu’une femme qui n’exerce pas d’activité professionnelle se dira incapable de libérer du temps pour accéder à une pratique personnelle : « ‘trouver du temps’ s’oppose à ‘prendre du temps’ » (Louveau, 1998).

L’accès à la pratique sportive montre qu’au-delà d’un problème de gestion du temps, les femmes ne construisent pas le même rapport au corps suivant les normes du milieu social dans lequel elles vivent. Or, pour être acceptées, les pratiques physiques ne doivent pas contredire le rapport au corps : « Le rapport au corps dans ce qu’il a de plus inconscient, le schéma corporel en tant qu’il est dépositaire de toute une vision du monde social, de toute une philosophie de la personne et du corps propre » 289 (Bourdieu, 1979 cité par Louveau, 1998). Ce rapport à soi, ce rapport intime au corps constitue une clé d’accès aux pratiques physiques. La femme accepte-t-elle d’avoir un corps qui lui appartienne en propre, un corps autre que maternant ?

Si la pratique sportive des femmes est en progression, un long chemin reste à parcourir mais il actuellement est pris en considération par les institutions nationales, ce qui constitue déjà en soi le gage d’une meilleure visibilité du sport féminin.

Qu’avons-nous tenté d’éclairer dans ce chapitre ? Que la définition de l’identité de l’individu a été abordée au regard de la dimension sexuée aussi bien dans sa construction dès son plus jeune âge que dans sa dimension groupale. La dimension sexuée montre que des différences notoires s’expriment selon le sexe de l’individu, par une asymétrie sociale en défaveur des femmes. Cette asymétrie provoquée met en exergue des relations de pouvoir et de domination masculine. Ce même phénomène se reproduit au sein de la « microsociété » que constitue le champ sportif par sa construction historique tout d’abord, puis, par les valeurs qu’il met en jeu. Actuellement un intérêt assortit d’une prise en charge institutionnelle tente de promouvoir et de faciliter l’accès des femmes à la sphère sportive. L’identité féminine et les structures sportives dans leur état actuel constituent des difficultés qui s’estompent lentement.

Notes
285.

Source MJS (2002). « Sport STAT-info »

286.

Deydier, B. (2004). Rapport femmes et sports . http: //www.jeunesse-sports.gouv.fr

287.

Lire à ce propose deux études actuelles de la Revue STAPS sur le rôle des femmes dirigeantes dans les fédérations sportives françaises.

Chantelat, P., Bayle, E. et Ferrand, C. (2004). Les représentations de l’activité des femmes dirigeantes dans les fédérations sportives françaises : effets de contexte et ambivalences. STAPS, 25 (66), 143-159.

Chimot, C. (2004). Répartition sexuée des dirigeant(e)s au sein des organisations sportives françaises. STAPS, 25 (66), 161-177.

288.

Louveau, C. (1998). Les femmes et les hommes dans les pratiques physiques et sportives. In A. Davisse et C. Louveau. Sport, Ecole, Société : la différence des sexes. Paris : L’Harmattan.

289.

Bourdieu, P. (1979). La distinction, critique sociale du jugement. Paris : Minuit. (p.240).