I. Comment est-on passé du sexe au genre ?

Avant de considérer plus avant l’intérêt que procure le concept de genre dans la compréhension de l’identité sexuée de l’individu, un détour historique paraît opportun.

Lorsqu’elle s’est intéressée à la construction psychologique de l’identité sexuée, la psychologie fut confrontée à la difficulté constituée par la variabilité de l’opposition entre le féminin et le masculin. Cette difficulté fut accentuée par le fait que ces deux pôles ne recouvrent pas la différence biologique des sexes 291 . Certaines femmes peuvent être jugées masculines et certains hommes féminins. Par extension, ni les femmes ni les hommes ne peuvent être réduits à leur féminité ou à leur masculinité.

Le féminin et le masculin sont deux attributs non exclusifs, intriqués, imbriqués l’un dans l’autre de telle manière qu’il n’est pas possible de classer les individus sur une ligne polarisée d’un côté par le féminin et de l’autre par le masculin.

L’origine de cette construction provient d’un questionnement développé à la suite des travaux de l’ethnologue M. Mead. Celle-ci introduisit la notion de « rôle de sexe » afin de souligner le caractère social et variable des normes attachées au fait d’être de sexe mâle ou femelle, d’une société à l’autre. Par la suite, plusieurs auteurs ont contribué à l’apparition du champ du « genre » et à l’émergence de cette terminologie. Tous sont situés aux Etats-Unis, ils ont participé à l’évolution du questionnement qui a permis de passer du sexe au genre.

En 1955 c’est John Money qui a parlé le premier de « rôle de genre », puis Evelyn Hooker a parlé « d’identité de genre ». A leur suite le psychanalyste Stoller 292 dans les années 1960, utilise le terme de « gender » pour distinguer le biologique et le psychologique dans la définition des identités. Le processus se poursuit quand la sociologue Ann Oakley 293  écrit un ouvrage considéré comme fondateur (Sex, Gender and Society), dans lequel elle souligne la différence entre le « sexe biologique » et le « sexe social » élargissant la perspective du naturel au culturel.

Le sexe est alors défini par rapport à la nature biologique de l’individu et le genre à sa nature culturelle.

La distinction entre sexe et genre dans les travaux féministes était entérinée dès la fin des années 1960 aux Etats-Unis.

‘« Cette distinction associe à la notion de sexe, les caractéristiques biologiques et à la notion de genre, les attributs psychologiques, les activités et les rôles et statuts sociaux culturellement assignés à chacune des catégories de sexe et constituant un système de croyances dont le principe de la détermination biologique est le pivot ». (Hurtig, Kail et Rouch, 2002) 294 .

Dans son pays d’origine, le concept de genre a bénéficié d’un ancrage institutionnel à travers les women’s studies qui a permis son développement et sa structuration. Les femmes ayant revendiqué d’être reconnues en tant que groupe social objet de discrimination, l’enjeu du concept est alors autant politique que scientifique.

Il s’agit de « remettre en cause une idéologie naturalisante liant les différences psychologiques, comportementales, sociales entre les hommes et les femmes à des différences d’ordre biologique » (Fougeyrollas-Schwebel, Riot-Sarcey et Zaïdman, 2003) 295 .

Notes
291.

Lahire, B. (2001). Héritages sexués : incorporation des habitudes et des croyances.In T. Blöss (Ed.) La dialectique des rapports hommes-femmes. (2ème éd.). Paris : PUF, Collection sociologie d’aujourd’hui.. (pp.9-25).

292.

Stoller R. (1968). Sex and Gender. London : Hogarth.

293.

Oakley, A. (1972). Sex, Gender and Society. Oxford : Martin Robertson.

294.

Hurtig, M.-C., Kail, M., & Rouch, H. (Eds.). (2002). Déjà cité.

295.

Fougeyrollas-Schwebel, D., Planté, C. Riot-Sarcey, M. & Zaïdman, C. (Eds.). (2003). Le Genre comme catégorie d’analyse. Sociologie, histoire, littérature. Paris : L’Harmattan.