II. De quel « genre » s’agit-il ?

La variable « gender » établie Outre-mer a été importée telle quelle dans les études françaises. Or en France, le terme « genre » est souvent critiqué pour sa polysémie et son flou.

Si le genre représente les aspects sociaux du sexe et dans cette acception se distingue des aspects biologiques, le genre a souvent été mal défini et prête à confusion en langue française. La faible institutionnalisation des études féministes dans notre pays n’a pas permis la création de structures interdisciplinaires rassemblant les divers champs autour de cette notion. Les travaux sont restés clos à l’intérieur du périmètre de leurs disciplines.

Depuis les années 1970, les recherches et les publications sur les femmes sont nombreuses, elles ne constituent donc plus ce que l’on nomme un domaine émergeant 296 . Pourtant le terme « genre » n’apparaît pas avant la fin des années 1990 où il surgit dans les titres des colloques et dans les revues. Il ouvre la porte à une histoire des relations réelles et symboliques entre les hommes et les femmes. On s’interroge par exemple sur l’évolution des systèmes de genre, sur l’ensemble des rôles sociaux sexués et des systèmes de représentations définissant le masculin et le féminin. Le genre ne s’intéresse pas seulement au domaine féminin, il rend également perceptibles les hommes en tant qu’individualités également porteurs de la dimension sexuée masculine. Il a suscité l’émergence d’une histoire des hommes et des masculinités, notamment la construction de la virilité et de la domination masculine. Ces travaux sur les masculinités sont en développement en France pour la période actuelle.

‘« Le concept de genre permet de penser le rapport inégalitaire comme constitutif de la différence des sexes. La notion de minorité (des femmes) répond à celle de domination (des hommes). Si on peut parler d’une culture masculine c’est à partir d’une analyse de la domination et non d’une « nature » féminine ou d’une « essence » du masculin ». (Zaidman, 2003)

Le concept de genre est l’objet de débats théoriques actuels en France, notamment en histoire et en anthropologie. De nombreuses études montrent un consensus allant dans le sens d’une définition commune : alors que le genre est socialement construit, le sexe biologique serait simplement destiné à marquer la division sociale (Delphy, 1989, Perrot, 1995 ; Zaidman, 2003 ; Fougeyrollas-Schwebel, 2003).

Le terme de genre s’impose de plus en plus en langue française car il rassure par sa neutralité et son usage institutionnel l’a propulsé dans son utilisation de remplacement du mot « sexe » dont la connotation paraît lourde et tendancieuse : « il semble qu’il faille être féministe pour savoir que le genre désigne un rapport de domination entre les sexes » (Löwy et Rouch). Des craintes surgissent à propos de cette neutralisation et de la dissolution possible du terme dans les problématiques sur les rapports hiérarchiques homme/ femme et sur la domination du masculin 297 . Finalement le terme de « genre » tend à s’imposer dans le domaine scientifique français comme traduction du terme américain « gender ».

Les critiques sur ce concept font par exemple remarquer son glissement évolutif selon différentes acceptions.

Alors, le genre est-il un concept flou ?

Nicole Le Feuvre propose de regarder les différentes définitions du genre.

En premier lieu sa définition permet de : « souligner le caractère socialement construit des qualités et pratiques sociales assignées aux hommes et aux femmes en opposition au sexe biologique ».

Puis il est utilisé pour décrire « le rapport de domination qui donne sens au processus de différenciation des pratiques sociales ».

Enfin, « il renvoie à un système social qui crée et légitime la bi-catégorisation sexuelle » 298 .

De la dichotomie entre le caractère naturel et le caractère social des hommes et des femmes, le genre inclut la hiérarchisation et l’asymétrie des pratiques sociales des hommes et des femmes. Or, pendant longtemps c’est la notion de sexe qui a permis de mettre en avant le rapport de domination qui lie les hommes et les femmes. Elle ne doit pas être évincée au profit du genre, sa pertinence dans les analyses scientifiques ayant fait ses preuves au cours des dernières décennies.

Renoncer à l’articulation dans le langage et dans la pensée des deux termes de sexe et de genre revient à renoncer à l’élucidation des modèles et apprentissages et à adopter l’universel masculin neutre. Aujourd’hui il est d’importance de ne pas laisser glisser ce terme vers une neutralisation, vers le masquage des rapports de sexe et de la discrimination dont les femmes font l’objet, il s’agit donc de le maintenir dans une dynamique. Ces raisons ont influencé le réseau institutionnel 299 , créé en France, à choisir l’utilisation du terme de genre car il fait consensus malgré les différentes orientations théoriques et contextes disciplinaires où il est considéré tour à tour comme une notion floue ou un concept opératoire.

‘« Le terme genre bénéficie de la nouveauté, il s’offre l’élégance de l’abstraction et aseptise les problématiques considérées comme trop militantes. Il apparaît plus policé que le terme sexe et devient plus acceptable, les institutions en font alors un usage unique ». (Hurtig, Kail et Rouch, 2002).
Notes
296.

Thébaud, F. (2003). Histoire des femmes, histoire du genre et sexe du chercheur. In J. Laufer, C. Marry, & M. Maruani (Eds.), Le travail du genre. Les sciences sociales du travail à l’épreuve des différences de sexe. (pp.70-87). Paris : La découverte. Mage.

297.

Par exemple les membres du MAGE : revue sociologique sur le travail des femmes.

298.

Toutes citations par Le Feuvre, N. (2003). Le « genre » comme outil d’analyse sociologique. In D. Fougeyrollas-Schwebel, C. Planté, M. Riot-Sarcey et C. Zaidman, (Eds.), Le genre comme catégorie d’analyse. Sociologie, histoire, littérature. (pp 38-52). Paris : L’Harmattan. Collection : Bibliothèque du féminisme/RING.

299.

L’intérêt des pouvoirs publics pour les études féministes ou sur le genre s’est manifesté avec la signature d’une convention interministérielle « pour la promotion de l’égalité des chances entre les filles et les garçons, les hommes et les femmes dans le système éducatif ». Cette institutionnalisation française peut être considérée comme une prise en compte des problématiques universitaires développées sur le genre. Zaidman, C. (2003). Introduction. In D. Fougeyrollas-Schwebel, C. Planté, M. Riot-Sarcey et C. Zaidman, (Eds.), Le genre comme catégorie d’analyse. Sociologie, histoire, littérature. Paris : L’Harmattan. Collection : Bibliothèque du féminisme/RING. (p.12).