II. Echelles bipolaires et émergence de l’androgyne

A partir des stéréotypes, des mesures de féminité/masculinité ont été mises en place afin de discriminer les individus selon leur sexe. L’identité sexuelle, c’est-à-dire tout ce qui distingue les sexes en termes d’aptitudes respectives, d’occupations, d’habillement, de parures, de maintien, d’expression émotionnelle (Money, 1965) 320 a été recensé afin d’obtenir « un ensemble bipolaire de traits ». En recensant les éléments de « la culture populaire et de la culture d’élite » et en demandant aux gens quelles étaient, à leur avis, les qualités « que l’homme et la femme étaient censés posséder », on obtient deux catégories distinctes de traits caractéristiques s’appuyant sur les stéréotypes (Oglesby, 1982) 321 .

Au départ les deux catégories étaient considérées comme constituant les deux extrémités d’un continuum. Ce qui était recherché avant tout était l’expression d’une différence entre les sexes. Les comportements étaient mesurés en fonction des normes sociales, des rôles traditionnels de sexe. Les tests de masculinité/ féminité, étaient construits sous forme d’une échelle bipolaire : les éléments qui n’étaient pas corrélés à l’une des catégories étaient systématiquement considérés comme indicatif de l’autre catégorie, les deux s’excluant mutuellement. Les positions intermédiaires étaient considérées comme déviantes. La plupart des échelles féminin/masculin étaient composées par rapport à l’activité professionnelle, le passe-temps préféré ou la façon de se conduire. La polarisation servait d’organisateur pour la construction des rôles sexuels lors du développement cognitif.

Les limites de ces échelles de mesure ont été démontrées. L’ensemble des scientifiques concernés considère qu’elles exagèrent les différences entre les sexes et qu’elles dévaluent les caractéristiques féminines. La construction d’un modèle d’échelle bipolaire contribue à permettre au masculin de poursuivre sa domination sur le féminin dominé. Certes, ces tests mesurent les différences de sexe dans les réponses mais l’explication théorique brille par son absence. On ne sait pas ni à quoi, ni comment rattacher les différences exprimées à la féminité ou à la masculinité.

La dimension féminité/masculinité est-elle une dimension utile pour étudier une population normale, puisque les différences sont considérées comme l’expression d’une déviance ?

Ces modélisations bipolaires et exclusives sont-elles suffisantes pour discriminer les femmes et les hommes?

Le modèle sexuel stéréotypé est tellement puissant qu’il peut être considéré comme une aliénation pour l’individu, pouvant être la source d’un conflit psychologique (Oglesby, 1982). Pourtant il n’est pas impossible pour un individu de dépasser les rôles assignés aux comportements appropriés à l’un des sexes si l’on réussit à s’affranchir des stéréotypes. L’individu rompt ainsi avec la dichotomie présupposée entre les sexes.

Forts de ces limites, les chercheurs s’orientent alors sur une voie médiane, plus complexe, prenant en compte à la fois le féminin et le masculin sans exclusivité mutuelle. L’identité sexuelle n’est plus exclusivement masculine ou féminine mais présente les deux spécificités de manière équivalente chez le même individu (Morin, 1992) 322 . Une troisième « catégorie » semble émerger de la bipolarisation masculin/féminin : on parle alors d’individus androgynes. Dans cette acception, un individu caractérisé comme androgyne peut comporter à la fois des caractéristiques féminines et masculines. Le sexe biologique n’étant pas le garant du sexe psychologique 323 , des individus de l’un des sexes peuvent exprimer des caractéristiques de l’autre sexe. Une femme peut exprimer des valeurs et des attitudes habituellement attribuées aux hommes et inversement sans renier son sexe biologique.

‘« L’idéal androgyne correspond à l’individu qui sait s’adapter selon les circonstances « masculin » ou « féminin ». Les caractéristiques masculines et féminines liées au comportement des hommes et des femmes, ne seraient pas mutuellement exclusives mais plutôt indépendantes voire co-occurrentes, elles ne seraient donc pas liées au sexe biologique, ce qui implique qu’il n’y aurait pas une inéluctabilité de l’identité féminine chez les femmes et masculine chez les hommes » (Lorenzi-Cioldi, 1988).

L’idéal de l’androgyne correspond à une façon d’être qui n’est ni féminine ni masculine, qui part de l’idée qu’il existe du masculin et du féminin dans chaque personne à divers degrés. (Bem, 1974 ; Berzins et al, 1978 ; Badinter, 1986) 324 .

Notes
320.

Money, J. (1965). Cite par Hurtig, M.-C., Kail, M., & Rouch, H. (Eds.). (2002). Déjà cité.

321.

Oglesby, C. A. (1982). Déjà cité. (pp.97-108).

322.

Morin, C. (1992). Déjà cité.

323.

Hurtig, M-C. et Pichevin, M-F. (1986). Déjà cité.

324.

Baudoux, C. (1992). Déjà cité. (p.186).