III. Connotation genrée des pratiques sportives

Le marketing a développé des études sur le genre afin de mieux cerner l’adéquation entre les produits et le public visé. Le sport est également un champ qui s’intéresse aux problématiques du genre, des études ont été effectuées dans ce cadre 352 .

L’une d’elles tente d’appréhender la relation entre le genre de l’individu et la connotation des sports selon des critères de féminité et masculinité. Revenant sur la distinction des sports pour les deux sexes, Koivula (1995) rappelle que ces derniers sont catégorisés comme appropriés ou inappropriés par rapport au sexe de l’individu. Les sports sont donc déclinés au regard de leur appropriation comme féminins, masculins ou appropriés aux deux sexes (neutres) (Csizma, Wittig & Schurr, 1988 ; Del Rey, 1976 ; Matteo, 1986 ; Ostrow, Jones & Spiker, 1981 ; Salminen, 1990) 353 .

Elle postule que la construction du schéma de genre influence le choix des activités physiques suivant la catégorie stéréotypée auquel le sport appartient en accord avec la théorie du schéma de genre de Bem selon laquelle la propre perception de son sexe par l’individu influence le traitement des informations. En effet les individus sex-typés résistent aux activités stéréotypées non appropriées à leur sexe et montrent des sentiments négatifs quand ils doivent pratiquer des activités de l’autre sexe. Pourquoi cet évitement ? Il peut être dû à l’envie de se maintenir en accord avec les normes culturelles de la masculinité ou de la féminité suivant le cas.

‘« Si le label des sports catégorisés comme masculin, féminin ou neutre est envisagé à la lumière de la théorie du schéma de genre de Bem (1981), les stéréotypes sur les sports et les activités physiques devraient être plus apparents chez les individus sex-typés puisqu’ils utilisent des procédés d’information sur la base du genre dans un champ large et ont besoin de catégorisation pour maintenir un comportement qui leur paraît approprié (Ostrow et al.,1981).» (Cité par Koivula, 1995).’

L’administration préalable du BSRI a permis de classer les sujets comme sex-typés, cross-typés, androgynes. Puis les sujets ont complété un questionnaire dans lequel ils devaient attribuer une valeur à 60 sports selon leur appropriation d’après leur genre. Les résultats ont attribué 34 sports neutres, 18 sports masculins et 7 sports féminins.

Ainsi qu’il est énoncé précédemment, la plupart des sports ont été classés comme neutres et la plupart des sports non classés neutres ont été classés masculins. Pour le groupe des sports masculins, une différence significative entre les scores des femmes androgynes et les scores des hommes sex-typés (masculins) a été repérée. Peu de sports sont classés féminins mais pour ce groupe, il a été repéré une différence significative entre les femmes androgynes et les hommes sex-typés, entre les femmes androgynes et les hommes indifférenciés, entre les femmes masculines et les hommes masculins. Les hommes plus que les femmes et les hommes sex-typés plus que les hommes cross-typés ont obtenu des scores liés aux stéréotypes des sports comme masculin ou féminin. Ce qui est également vrai pour certains sports neutres ; les stéréotypes ont été donnés davantage par les hommes sex-typés et cross-typés.

Ces résultats font supposer que les individus androgynes et indifférenciés n’utilisent pas les informations du schéma de genre de la même manière que les individus sex-typés. Les résultats de cette étude confirment largement ceux de Matteo (1986).

‘« Les résultats ne valident pas l’hypothèse selon laquelle les individus sex-typés sont plus enclins que les individus androgynes à étiqueter les sports comme masculins, féminins comme c’était attendu par la théorie du schéma de genre » (Koivula, 1995).’

La différence entre les femmes masculines et les hommes féminins peut être due en partie aux valeurs culturelles qui classent davantage les activités comme masculines que comme féminines ce qui pose davantage de problèmes aux hommes féminins. Ce sont donc les hommes qui utilisent particulièrement les stéréotypes dans le cadre des sports. Ces derniers développent des actions symboliques dans lesquelles les valeurs traditionnelles des rôles de genre sont confirmées et accrues.

Tableau 2 : Cotes d’appropriation des principaux sports. (Koivula, 1995)
Tableau 2 : Cotes d’appropriation des principaux sports. (Koivula, 1995)

S’adressant à des élèves du secondaire, Fontayne (1999) 354 procède à l’évaluation de la « Perception sexuée des activités physiques et sportives » par ces derniers. A cette fin il leur présente classée par ordre alphabétique, une liste de 15 activités physiques et sportives. Ces activités ont été choisies sur la base des travaux antérieurs 355 pour se classer comme suit :

Chaque élève devait indiquer comment il percevait ces activités sportives sur une échelle à 7 points : (1) Très masculine, (4) À la fois masculine et féminine, (7) Très féminine. Les sports dont les scores moyens sont établis entre 3.5 et 4.5 sont considérés comme « appropriés aux deux sexes », ceux dont les scores moyens sont compris entre 1 et 3.5 et entre 4.5 et 7 sont respectivement considérés comme « masculins » et « féminins » 356 .

Au final il obtient les scores suivants :

Tableau 3 : Moyennes et écart-types des scores à l’échelle de perception sexuée des activités physiques et sportives pour la population entière, pour le groupe des garçons et pour le groupe des filles. Fontayne (1999).
  Pop. Totale Garçons Filles
Activités sportives M ET M ET M ET
Activités masculines            
Basket-ball 2.87 1.20 2.58 1.23 3.12 1.12
Boxe 1.55 1.08 1.45 1.02 1.65 1.12
Football 2.10 1.25 1.94 1.25 2.24 1.23
Rugby 1.58 1.00 1.44 0.93 1.70 1.05
Saut à la perche 2.80 1.26 2.76 1.30 2.83 1.22
Activités féminines            
Danse 6.33 1.07 6.39 1.08 6.26 1.05
Équitation 4.68 1.05 4.78 1.18 4.62 0.90
Gymnastique Rythmique et Sportive (GRS) 6.46 1.08 6.43 1.18 6.48 0.99
Gymnastique 5.34 1.34 5.21 1.40 5.44 1.28
Natation Synchronisée 6.00 1.21 5.92 1.27 6.06 1.14
Activités appropriées aux deux sexes            
Badminton 4.06 0.92 3.92 0.93 4.17 0.89
Course d’orientation 3.96 0.76 3.96 0.78 3.95 0.73
Natation 4.09 0.80 4.07 0.96 4.10 0.63
Tennis 3.96 0.60 3.88 0.69 4.02 0.50
Volley-ball 4.11 0.83 4.03 0.85 4.18 0.80

Les résultats obtenus confirment ceux de Koivula d’une manière générale sauf en ce qui concerne le basket-ball, activité qui pour les élèves du second degré est perçue comme masculine par les filles et par les garçons alors qu’elle est classée comme neutre par la population de Koivula.

Tableau 4 : comparaison des scores obtenus dans les deux études précédentes.
Scores proches dans les activités classées neutres Sports masculins obtenant des scores plus masculins par les élèves Sports féminins obtenant des scores plus féminins par les élèves
Badminton
Football : Les filles considèrent le football comme plus masculin alors que les garçons le considèrent comme moins masculin. Danse
Course d’orientation
Rugby  Gymnastique
Natation
  Natation synchronisée
Basket-ball
Activité classée neutre par Koivula et masculine par Fontayne (filles 3.74/3.12 garçons : 3.58/2.59) 357
Equitation pour les filles

On peut tenter une explication des différences de perception des activités par l’âge et le contexte des deux populations de référence. Dans l’étude de Fontayne la population est plus jeune et l’on remarque une certaine crispation de la plupart des scores plus significatifs aussi bien en direction du masculin que du féminin. On s’aperçoit que les élèves majorent davantage les scores de masculinité et de féminité que les adultes. Ce qui est cohérent avec les études sur les stéréotypes qui montrent que les plus jeunes sont davantage en prise avec les stéréotypes sociaux.

Le contexte de l’EPS, dans l’étude de Fontayne peut également être un élément susceptible de faire varier les perceptions en fonction des expériences vécues par les deux sexes d’élèves en éducation physique. Il n’est alors pas étonnant que le basket-ball soit assimilé aux autres sports collectifs en tant qu’activité masculine dans laquelle les garçons monopolisent le ballon au détriment des filles.

D’autres méthodes permettent de classer les activités selon leur connotation sexuée. On peut s’appuyer sur le nombre de licenciés et comparer la distribution des deux sexes, cependant, cette méthode ne permet pas de faire la distinction entre le niveau compétitif et celui de la pratique de loisir.

Une autre méthode s’appuie sur le type d’engin ou les caractéristiques motrices de l’activité. Une activité sera alors dite féminine lorsqu’elle favorise des engins de faible poids et des caractéristiques motrices de fluidité, d’esthétique… .

Pour notre part nous ne pensons pas remettre en question ces différentes méthodes mais nous souhaitons approfondir la connotation sexuée des activités support de notre étude en prenant en compte, d’une part, les caractéristiques de l’entraînement de haut niveau à partir d’ouvrage traitant de l’activité et d’entretien(s) d’expert(s) et d’autre part en nous appuyant sur le discours des enseignants à propos de cette activité dans le cadre de l’éducation physique.

Notes
352.

Koivula, N. (1995). Ratings of Gender Appropriateness of Sports Participation : Effects of Gender-Based Schematic Processing. Sex Roles, 33 (7/8).

353.

Csizma, K.A., Wittig, A.F., & Schurr, K.T. (1988). Sports stereotypes and gender.Journal of Sport and Exercise Psychology , 10, 62-74.

Del Rey, P. (1976). In support of apologetics for women. In R.W. Christina & D.M. Landers (Eds.), Psychology of motor behavior and sport. Champaign, IL :Human Kinetics.

Matteo, S. (1986). The effects of sex and gender-schematic processing on decisions about sex-inappropriate sport behavior. Sex Roles, 18, 41-58.

Ostrow, A.C., Jones D.C., & Spiker, D.D. (1981). Age role expectations and sex role expectations for selected sport activities. Research Quarterly for Exercise and sport, 52, 216-227.

Salminen, S. (1990). Sex role and participation in traditionally inappropriate sports. Perceptual and Motor Skills, 71, 1216-1218.

354.

Fontayne, P. (1999). Déjà cité.

355.

Les travaux antérieurs sont ceux cités par Koivula dans l’étude précédente.

356.

Fontayne confirme ces scores par référence aux auteurs suivants: Ignico, 1989; Koivula, 1995; Matteo, 1986; Mead & Ignico, 1992; Pellett & Harrison, 1992; Pellett & Ignico, 1993.

357.

Le premier score est celui de l’étude de Koivula et le second celui de l’étude de Fontayne.