III.5 Discussion

L’objectif de ce paragraphe était de décrire quatre enseignants représentatifs d’une configuration de sexe et de genre. Deux d’entre eux font partie du même groupe d’enseignants de genre masculin, l’un est un homme "Serge" et l’autre est une femme « Martine », l’un est sex-typé : "Serge" et l’autre est cross-typé : "Martine". Les deux autres enseignants décrits sont de genre androgyne : "Axel" et de genre féminin : femme sex-typée : "Anne". Les descriptions permettent de mettre en évidence des points communs aux enseignants appartenant au même groupe de genre "Martine" et "Serge". Ces deux enseignants tiennent le devant de la scène pendant les cours, par leur voix forte, leur interpellation même de loin des élèves, leur implication physique pendant la leçon (démonstration, théâtralisation), par l’espace qu’ils occupent. Ce résultat confirmerait les caractéristiques des attitudes et comportements traditionnellement attribués aux individus masculins. L’enseignant androgyne "Axel" bien que son genre fasse part d’une grande partie de masculinité ne montre pas ces caractéristiques qui semblent donc spécifiques du groupe de genre masculin et non pas d’une position sur l’échelle des valeurs masculines. Au contraire des deux enseignants du groupe de genre masculin, "Anne" n’use pas de ce type d’attitude, elle est fort préoccupée par la relation qu’elle entretient avec les élèves et notamment les garçons, qui serait davantage de type affectif. Elle accorde beaucoup d’importance à leur donner la priorité suivant leurs besoins, à les rassurer, à les laisser faire sous certaines conditions négociables, paraissant ainsi céder à leurs souhaits. Cette façon de procéder est délibérée et l’enseignante ne ressent pas comme contraignante la pression forte qu’exerce les garçons sur ses choix ou sur ses interactions. Ce type d’attitude est un comportement attendu de la part des femmes au regard de leur envie de créer des relations fortes avec les autres, de rassurer, de materner, d’ailleurs cette impression est renforcée à l’observation par les attitudes corporelles tenues par l’enseignante. Sur le plan des attitudes verbales et non verbales, la description des quatre enseignants permet de confirmer un effet du genre. Pour préciser ces considérations, nous avons pu remarquer que les enseignants développent un climat d’affectivité différent et qui semblerait également relié au genre, les deux enseignants de genre masculin renvoyant davantage d’interactions de climat d’affectivité à la fois positif et négatif.

Sur le plan de l’organisation temporelle, les indicateurs choisis ne paraissent pas relever d’éléments caractéristiques du genre. Par contre pour l’organisation spatiale, si la répartition des élèves de manière individuelle ou par groupe ne semble pas révélatrice d’un effet de genre, la position spatiale de l’enseignant est davantage significative et paraîtrait relever d’un effet de sexe. En effet, les deux femmes Fmasc.1 « Martine » et Ffém.2 « Anne » se situent fréquemment au milieu des élèves alors que l’homme androgyne, par exemple, se place plus souvent en position extérieure au groupe d’élève. Cet indicateur parait donc renforcer les caractéristiques plus féminines liées à la relation aux élèves et semblerait davantage lié au sexe qu’au genre.

Un autre paramètre encore en lien avec la thématique de l’attitude de l’enseignant concerne la mise en place d’un contrôle des élèves ou au contraire l’usage d’une autorité assise sur l’attitude de l’enseignant. La description des enseignants parait relever des différences entre les deux enseignants du groupe masculin et les deux autres. "Martine" et "Serge" sembleraient tirer les bénéfices d’une autorité « naturelle » alors que "Anne" et "Axel" mettent en place un contrôle quasi permanent strict dans le cas de l’homme androgyne et plus sous-jacent dans le cas de la femme féminine.

Pour la transmission des informations, les deux enseignants androgyne et féminin utilisent davantage les médias écrits que les deux enseignants du groupe de genre masculin, cela a-t-il à voir avec le rapport à l’écrit qui relèverait davantage de la féminité ?

Le nombre d’interactions et leur type ne paraissent pas relever d’effet spécifique du genre mais on peut faire valoir que les deux enseignants sex-typés "Serge" et "Anne" distribuent davantage d’interactions avec les garçons et négligent les filles alors que les deux enseignants, femme cross-typé "Martine" et homme androgyne "Axel" sont plus équitables dans le nombre et la durée des interactions envers les élèves des deux sexes. Y aurait-il alors un effet de sexe croisé avec un effet de genre ce qui expliquerait ce résultat ? En effet ce sont les deux enseignants les plus ancrés sur les valeurs traditionnelles de leur sexe qui favorisent le moins l’égalité entre les élèves ? Sont-ils moins sensibles à cela ? Subissent-ils davantage la pression pour des raisons qui peuvent d’ailleurs être différentes ? Il est vrai que l’observation permet de mettre en évidence que les garçons occupent un grand volume spatial et sonore dans les cours de ces deux enseignants et que ceux-ci leur donnent la priorité. Dans le cas de "Serge" la construction de l’autonomie qui passe par l’interpellation de l’enseignant ressource permet à un garçon de « monopoliser » l’enseignant pendant un temps très long. Pour "Anne" on remarque que les garçons n’hésitent pas à interrompre l’enseignante et que celle-ci s’interrompt spontanément pour répondre à leur question alors qu’elle est déjà engagée dans une interaction avec une fille.

Du point de vue des contenus et plus particulièrement de l’échauffement, les enseignants mettent en place des formes qui paraissent relever de particularités individuelles, et les formes d’échauffement sont assez variées. On peut cependant remarquer que « Anne » met en place une situation de relaxation et que cette pratique correspond particulièrement aux pratiques sociales féminines. Pour les contenus proprement dits, les deux enseignants du groupe de genre masculin mettent en place des contenus proches des situations de référence des pratiques sociales (enchaînement, matchs) et des formes ludiques (jeux, décomptes de points, chronométrage…). L’enseignant androgyne met davantage en place des situations d’apprentissage et l’enseignante féminine des situations très proches des pratiques fédérales (décompte des points en gymnastique selon le code des compétitions UNSS). Outre la forme que prennent les contenus d’enseignement, les deux enseignants sex-typés (homme masculin et femme féminine) différencient les contenus qu’ils donnent aux élèves selon le sexe de ceux-ci, ainsi tous les deux proposent aux filles des hauts dans l’échelle des difficultés (notamment en gymnastique) pour les garçons, ou des contenus plus valorisants (plus aérien, renversé et risqués dans le cas du saut de cheval). Pour l’évaluation, on retrouve la même correspondance entre les individus que pour les interactions. L’homme masculin et la femme féminine, commencent leur évaluation par les groupes de filles (en gymnastique) et n’effectuent pas de retour verbal avec elles, alors qu’ils en font avec les garçons aux autres agrès. La femme masculine et l’homme androgyne, eux, utilisent les mêmes modalités avec les élèves des deux sexes lors de l’évaluation, tous les élèves doivent d’ailleurs produire les mêmes prestations alors que pour les deux autres enseignants les élèves choisissent l’agrès (ou les agrès) support de leur évaluation.

Le genre est mis en évidence à partir d’un test de sexuation psychique (BSRI) mis au point par Bem dans les années 1970 aux Etats-Unis et largement utilisé depuis. Ce test est également utilisé afin d’établir la connotation sexuée des APSA. Nous avons choisi ce test pour sélectionner les enseignants que nous avons filmés dans trois APSA de connotation sexuelle différente afin d’ouvrir les observations possibles.

A partir de ces observations nous avons pu décrire les attitudes, comportements, interactions et les contenus mis en œuvre pour quatre enseignants présentant différentes configurations sexe/genre. A travers cette présentation de quelques cas, nous avons pu mettre en évidence que les effets de genre sont présents et vérifiés entre les deux enseignants du groupe masculin mais que des effets de sexe sont également présents et parfois de manière prépondérante par rapport aux effets de genre. Suivant les indicateurs étudiés, les effets peuvent être de différentes configurations : genre, sexe, polarisation des extrêmes (où se rejoignent l’homme et la femme sex-typés), polarisation des individus présentant une sexuation « mixte » (valeurs masculines et valeurs féminines comme pour l’enseignant androgyne ou la femme cross-typée). La présentation des résultats dans la prochaine partie devrait permettre d’affiner les résultats proposés dans cette étude partielle.