IV. Conclusion générale et discussion à propos l’univers de l’enseignant

Les résultats de cette analyse centrée sur l’univers de l’enseignant, par la façon dont il fait fonctionner les élèves suivant sa discipline, montrent une cohérence avec les recherches antérieures. Ils confirment que les modes de groupement sont en accords avec les remarques établies précédemment. Ils confirment également que l’autorité et le contrôle de la classe sont en adéquation avec les recherches antérieures et avec les stéréotypes de sexe.

Les stéréotypes sont-ils sous-tendus dans ces manières de faire et de laisser faire de l’enseignant selon son groupe de genre ? Les valeurs d’autonomie et de responsabilité développées par les groupes de genre les plus hauts sur l’échelle de la masculinité (masculin et androgyne) témoignent de l’adhésion aux stéréotypes sexués.

La valeur de coopération, à l’inverse, est plus présente au sein des groupes non différencié et féminin et pour les femmes masculines. C’est une valeur stéréotypée féminine pour laquelle le genre et le sexe se croisent.

Les marques de sollicitude et de louange (stéréotypes féminins) ne sont pas cohérentes avec les clichés sociaux car elles sont ici le fait des femmes et des hommes.

L’autorité est tacitement du côté des hommes par leur manière de s’imposer physiquement. Les femmes et les enseignants du groupe féminin montrent un manque d’autorité physique apparent et mettent en oeuvre d’autres moyens de contrôle moins visibles et plus détournés.

Du côté des élèves :

Les garçons font l’objet de davantage d’interactions de contrôle, d’autorité et de menaces de la part de tous les enseignants. Ils subissent les moqueries des enseignants des groupes non différencié et féminin.

Les filles font moins souvent l’objet d’interactions d’autorité et de contrôle, on les interpelle sur leur tenue vestimentaire. Elles subissent les moqueries des enseignants des groupes masculin et androgyne.

Arrivée au terme de notre étude il convient de prendre une position de recul afin d’examiner l’ensemble de notre production, de confronter les résultats obtenus aux questions de départ, d’évaluer les enjeux en terme d’apports nouveaux ou de contradictions des recherches antérieures.

En définitive, nous avons abordé les thématiques liées à notre objet d’étude de manière à circonscrire un périmètre d’investigation essentiellement autour de la mise en évidence des différences qui existent entre les sexes. Notre objectif était de faire émerger les tabous de l’invisible ou du caché, d’établir le constat d’une inégalité de fait dans l’école et en particulier en EPS qui se révèle par une asymétrie de la position des sexes et qui se nuance par les traits des genres.

La question de départ provenait du terrain, c’est pourquoi l’expérimentation s’est appuyée sur le terrain par l’observation des pratiques de collègues femmes et hommes. L’emploi du concept de genre a permis de révéler des caractéristiques de la féminité et de la masculinité qui ne répondent pas au modèle binaire du sexe. L’étude aurait pu se satisfaire de la recherche d’une correspondance des items masculins et féminins du BSRI pour les enseignants d’EPS, ou de la recherche de cette même correspondance dans le traitement didactique des APSA. Or nous avons souhaité amener notre étude plus avant et étudier les comportements pendant les leçons amplifiant ainsi les données. L’utilisation de ce concept rend palpable la complexité et la richesse de l’identité sexuée et genrée des individus. Le genre ne s’exprime pas seulement dans les discours sur l’identité des individus ou sur les activités physiques, il s’exprime à travers les comportements.

L’objectif de cette étude était de décrire les différences dans l’enseignement de l’EPS selon le genre de l’enseignant. L’analyse de ces différences s’est décomposée en deux axes majeurs : les contenus enseignés et leur évaluation puis les interactions selon le genre et le sexe de l’enseignant et le sexe des élèves à partir de divers critères explicités précédemment.

Les interactions s’exprimant sur le mode verbal et/ou non verbal, nous avons étudié ces deux modalités d’expression. L’ambiance de classe, l’autorité et le contrôle sur élèves ont été examinés à travers l’ « univers » mis en place par l’enseignant. Cette méthodologie a été organisée dans le but de la validation de l’hypothèse émise.

Cette hypothèse de l’émergence des valeurs liées au genre de l’enseignant à travers les différents paramètres de l’acte d’enseignement est partiellement vérifiée.

Il est cependant nécessaire de nuancer ce propos.

Les femmes du groupe masculin orientent davantage les contenus vers le pôle féminin que les hommes du même groupe.

Cette considération est moins catégorique pour les enseignants du groupe féminin où le groupe est moins homogène.

L’axe des contenus s’avère être moins révélateur que celui des interactions et de l’univers de l’enseignant. En effet, outre le choix de l’enseignant, pèsent sur ces contenus divers paramètres : disponibilité des installations, programmes, choix d’équipe. Les contenus enseignés révèlent certes la personnalité de l’enseignant à travers son « bricolage » didactique mais ils ne permettent pas d’accéder plus intimement à des choix s’appuyant sur le genre.

Nous avons vérifié que le nombre d’interactions lors des séances d’EPS est en effet en faveur des garçons. Ce constat valide en EPS les résultats obtenus par Mosconi (1994) 462 et Subirats & Brullet (1988) 463 dans des disciplines scolaires à plus forte valeur académique.

Concernant l’origine de l’interaction, les garçons interpellent davantage les enseignants quand ceux-ci leur accordent plus d’attention. Par contre les filles sont obligées d’interpeller l’enseignant pour se rendre visibles et être prises en considération.

L’utilisation du concept de genre rend palpable la complexité et la richesse de l’identité sexuée des individus. Pour Perrot « le genre précède le sexe et le module, le corps n’est pas la donnée première, il est représentation et lieu de pouvoir » 464 . Notre conclusion, à l’issue de cette recherche, ne permet pas de confirmer cette déclaration. Il nous semble que le genre et le sexe sont imbriqués de manière profonde dans l’identité sexuée de l’individu. Il s’ensuit que dans certaines situations l’identité de genre s’exprime de manière prédominante alors que dans d’autres contextes c’est l’identité de sexe qui prévaut.

La variable genre apporte d’autres renseignements que la variable sexe vraisemblablement dans certains contextes où elle est plus sensible (discours, communication non verbale). C’est le groupe de genre masculin qui montre la plus grande cohérence de genre, celle-ci est renforcée par une grande homogénéité de sexe entre les deux femmes masculines. C’est le résultat le plus clair de cette étude sur les effets du genre de l’enseignant en EPS. Le groupe de genre féminin ne présente pas cette homogénéité du genre ni du sexe, dans ce groupe un homme et les deux femmes ont davantage d’homogénéité entre eux.

Il semblerait que les femmes masculines (catégorie de genre cross-typée) montreraient davantage d’effets du genre et dans le même temps davantage d’effets du sexe : ceci expliquerait qu’elles peuvent être autoritaires mais à la fois éprouver de la compassion ou valoriser la coopération dans leurs contenus.

Cet effet croisé du sexe et du genre n’apparaît pas pour les hommes féminins (catégorie également cross-typée), cependant l’effectif restreint de notre population ne nous permet pas une affirmation généralisable d’autant que dans le cas de notre étude, les deux hommes de genre féminin sont assez dissemblables.

Notes
462.

Mosconi, N. (1994). Déjà cité.

463.

Subirats, M. et Brullet, C. (1988). Le sexisme dans l’enseignement primaire. Interactions verbales dans les classes en Catalogne. Recherches féministes, 1 (1).

464.

Perrot, M. (1995). Déjà cité.