Pour parler de l’interaction, une nécessité est de se référer à l’approche socioconstructiviste de l’apprentissage. Elle est liée à l’étude des interactions entre des novices et des experts (dans notre cas enseignant) et élèves en vue d’apprentissage en milieu scolaire (Vygotsky, 1997 ; François 1999, Leach et Scott 1999, Mortimer et Scott 1999, 2003, Vergnaud, 2000).
Cette approche défend l’idée que l’apprentissage ne résulte pas d’une réponse passive à une action initiatrice mais résulte des interactions entre plusieurs acteurs dans un contexte social et physique. La variété des interactions permet aux apprenants de réorganiser et de structurer leurs connaissances en reformulant ou réinterprétant cette connaissance ou en opposant différents points de vue et testant leurs validités. L’apprenant est donc un acteur actif dans la construction de ses connaissances (Vygotsky, 1978) et l’action de l’enseignant doit se situer dans la « Zone Proximale de Développement » de l’apprenant. Vygotsky avance l’idée que l’adulte peut introduire progressivement des notions dans la « ZPD » (le seul bon enseignement est celui qui précède le développement), Vergnaud (2000) résume ceci en affirmant que l’apprentissage ne coïncide pas avec le développement de l’apprenant et la « ZPD » est l’intermédiaire obligé entre les deux concepts.
Dans l’approche socio-constructiviste, l’écrit et le dialogue sont différenciés. Les mêmes mots peuvent être utilisés dans des sens différents : «L’enfant et l’adulte peuvent communiquer avec les mêmes mots. Ça ne veut pas dire qu’ils pensent de la même façon. Autrement dit le concept n’est pas le nom. ” (Vygotsky, 1978, p. 195).Il y a une opposition entre deux concepts qui servent d’outils pour dialoguer entre l’adulte et l’enfant (dans notre cas entre enseignant et élèves) ce sont le “ concept quotidien ” et le “ concept scientifique ”. Ce problème est crucial dans une logique d'enseignement puisque sous-tendu par un éventuel conflit entre concepts quotidiens et concepts scientifiques (Vygotski, 1934). Pour Vygotski, c'est à partir de cette expérience sensible quotidienne que l'enfant forge ses concepts quotidiens. Il attribue quatre caractéristiques principales aux concepts quotidiens :
Il estime que la faiblesse de l’un est la force de l’autre d’où leur complémentarité : «La faiblesse des concepts quotidiens se manifeste, selon les données de notre étude [étude faite par Vygotski], par une incapacité d’abstraction … La faiblesse du concept scientifique c’est son verbalisme, qui constitue le principal danger pour son développement, c’est son insuffisante saturation du concret » (ibidem, p. 196).
En nousinspirant de la perspective socioconstructiviste et du travail de Mortimer et Scott (1999, 2003), nous adopterons la même approche socioculturelle d’analyse des interactions. Cette méthodologie qui s’inspire de la psychologie vygotskienne et néo-vygotskienne (Bakhtine, 1984), a pour centre d’intérêt principal l’interaction verbale. Un concept introduit dans cette perspective, et que nous utiliserons dans notre analyse, est “ le flux du discours en classe ”. Il est défini comme la réelle unité de communication parlée qui peut exister seulement dans la forme concrète des déclarations des gens individuellement. Il est caractérisé par trois aspects (Mortimer & Scott, 1999, p. 129) :
Ce discours en classe médiatise le développement de la signification et de la compréhension entre l’enseignant et les élèves. Il se manifeste dans la classe sous forme de deux genres de langages sociaux (le “ scientifique ” et le “ quotidien/ de tous les jours). Ces deux modes de discours caractérisent l’interaction enseignant-élèves (ibidem, p. 128).
Ainsi pour analyser l’interaction enseignant-élèves et élèves-élèves, le travail des deux auteurs (Mortimer & Scott , 2003) a été réalisé sur des élèves de 13-14 ans en Angleterre et sur des élèves de 14-15 ans au Brésil. Ils ont développé une approche socioculturelle basée sur cinq aspects qui sont présentés dans le tableau ci-dessous :
Cible | Objectifs d’enseignement | contenu |
Approche | Approche communicative | |
Action | Modèles de discours | Interventions de l’enseignant |
Ce tableau présente un outil d’analyse des interactions en classe scientifique. L’objectif des deux auteurs est de répondre à une question pour chaque aspect du tableau pour une phase de la séquence d’enseignement et puis établir des corrélations entre les différents aspects. Ces aspects sont présentés ci-dessous (ibidem, pp. 24-45)
Aspect | Description | Question à poser |
Les objectifs d’enseignement | Ouverture du problème Introduire et développer l’histoire scientifique Guider les élèves à appliquer et à étendre les utilisations des idées scientifiques et avoir la responsabilité de leurs applications Maintenir le développement de la leçon |
Quels sont les objectifs de l’enseignement pour cette phase de la leçon ? |
Le contenu de l’interaction | quotidien-scientifique description-explication-généralisation empérique-théorique |
Quelle est la nature de la connaissance discutée entre l’enseignant et l’élève durant cette phase de la leçon ? |
L’approche communicative | Interactive/dialogique Non-interactive/dialogique Interactive/autoritaire Non-interactive/autoritaire |
Comment l’enseignant travaille-t-il avec ces élèves pour aborder la diversité des idées présentes en classe durant cette phase de la leçon ? |
Les modèles du discours | le modèle en triade I-R-E (Initiation-Réponse-Evaluation) le modèle en chaîne I-R-F-R-F…(Feedback) |
Quels sont les modèles des interactions qui sont développés dans le discours de l’enseignant et des élèves en classe ? |
Les interventions de l’enseignant | Développer la connaissance scientifique Supporter la compréhension des élèves Maintenir la narration |
Comment l’enseignant intervient-il en classe |
Nous avons gardé les mêmes aspects d’analyse des interactions en ajoutant un aspect que nous jugeons intéressant. Nous représentons ces aspects avec les modifications que nous avons réalisées en fonction des besoins de notre travail :
Étant donné que nous étudions les interactions enseignant-élèves et élève-élève, nous avons décidé d’ajouter un aspect qui décrit l’organisation de la classe :
Pour le contenu de l’interaction nous trouvons que les catégories présentées par Mortimer et Scott (2003) ne nous donnent pas assez d’information pour l’interprétation de l’analyse d’où nous avons décidé de déterminer le contenu de l’interaction par rapport au savoir introduit chaque fois que nous a semblé nécessaire.
Notre choix non interactive correspond :
Nous remarquons que nous n’avons pas gardé le mot autoritaire pour la traduction de l’anglais du mot « authoritative » et nous avons choisi de dire discours faisant autorité.
Nous n’avons pas gardé l’appellation « les modes d’intervention de l’enseignant » car nous trouvons que pour cet aspect l’appellation « les fonctions du discours des interlocuteurs » décrit plus le contenu des catégories que nous présenterons dans ce qui suivra.
Pour cet aspect nous nous inspirons du travail de (Mortimer & Scott, 1999, p. 131). Les deux auteurs estiment que l’intervention de l’enseignant est caractérisée par le terme “ narration ”. Le terme connote un discours verbal cohérent sur une durée assez longue. Ces deux auteurs classent les fonctions de cette narration en trois grandes catégories que nous présenterons ci-dessous. Pour notre travail nous avons gardé quelques appellations de certaines catégories en ajoutant d’autres catégories liées à notre point de vue épistémologique de modélisation et de registres sémiotiques (toutes les catégories ajoutées sont en italique et soulignées). Nous présentons ci-dessous la grille qui montre toutes les catégories :
Catégories | Indicateur | Code | |||||||||||||||||||||||||||||
Développer la connaissance scientifique |
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Supporter la compréhension des élèves |
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Maintenir la narration |
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Ces catégories peuvent servir pour déterminer comment l’enseignant travaille avec ses élèves pour introduire une nouvelle connaissance et quelle influence cela a sur les activités des élèves dans un but d’aboutir à une construction de la compréhension ‘satisfaisante’ par les élèves des concepts scientifiques.
Le mot « idée » pour les élèves : représentation intellectuelle, toute représentation élaborée par la pensée correspondant à un mot ou à une phrase (vue approximative élémentaire).