III Approche linguistique

Plusieurs travaux antérieurs de linguistique et didactique des langues se sont intéressés à l’étude des interactions entre pairs (Bakhtine, 1977, 1984 ; Goffman, 1981; Roulet, 1987 ; Kerbrat-Orrechioni, 2001 ; Bouchard, 1981, 1998, 1999 ; Bouchard & Rolet, 2003). Un point commun essentiel de tous ces travaux est de donner une grande importance au discours dans l’interaction. La structure du discours est déterminée par les contraintes de l’interaction verbale « le discours est le produit de l’interaction de deux individus socialement organisés » (Bakhtine, 1977, P. 123)

Bakhtine (1977, 1984) estime que l’interaction entre adulte et enfants [enseignant et élèves] se réalise dans le contexte social. Cette interaction se base surtout sur le verbal et tend vers la compréhension qui est définie comme une forme de dialogue : « comprendre c’est opposer à la parole du locuteur une contre-parole. » (François, 1999, p. 198). Il met l’accent sur l’utilité d’utiliser plusieurs modes du discours tels que les “ langages sociaux ” et “ les façons de parler ”. Ces modes de discours permettent à celui qui parle de produire des déclarations pour faire avancer son interaction avec les autres (Leach & Scott, 1999, p.8).

Goffman (1981) s’est intéressé à l’interaction face à face qui est soumise à des contraintes communicatives (transmission de message) et des contraintes rituelles (respect de la face de l’interlocuteur).

Roulet introduit l’idée de la structure du discours comme négociation : « Toute négociation a sa source dans un problème qui donne lieu à une initiative du locuteur ; cette initiative appelle une réaction qui peut être favorable ou défavorable, de l’interlocuteur » (Roulet, 1987, p.15). Les interactions verbales sont caractérisées par le “ discours ”, ici entre l’enseignant et les élèves ou le discours entre élèves (questions, réponses, discussion, gestion de la classe…). L’aspect interactionnel du discours apparaît dans l’implication des destinataires ainsi que la répartition dans les tours de parole.

La structure du discours est déterminée par trois éléments primordiaux : l’échange, l’intervention et l’acte du langage. Ce découpage se présente dans le travail de Bouchard & Rolet (2003) sous forme de découpage structural du discours. Les deux auteurs ont présenté une méthodologie générale pour l’étude des interactions didactiques qui montre la complexité des phénomènes interactionnels caractéristiques d’une classe (polylogue, évènements oralo-graphiques, mélange organisé d’actions langagières et non-langagières...). Ils définissent les actions réciproques des intervenants dans l’interaction : des « actions langagières » combinaison entre système de signes vocaux et système de signes graphiques (registres symboliques) et des « actions non-langagières » qui comportent la position en classe et les gestes de communication (ibidem, p.2).

En ce qui concerne les actions « non langagières » il y a les gestes, les mimiques, la position en classe. L’interaction en classe peut être médiatisée par les gestes provenant soit du professeur soit de l’élève. Plusieurs études (Roth 1996, 2000, Roth & Bowen, 1999) ont montré l’importance de l’utilisation des gestes pour la communication. Les gestes de l’élève (respectivement de l’enseignant) ne peuvent pas être dissociés des connaissances intellectuelles qu’il possède. L’élève (respectivement l’enseignant) utilise donc des gestes pour expliquer (un graphe, un schéma, une expérience…). Pour connaître le rôle des gestes dans l’enseignement, Roth et Lawless (2002) ont étudié les gestes des élèves pour des finalités de conversation en classe. Ils estiment que ces gestes constituent un lien entre le monde des expériences et le monde conceptuel.

En ce qui concerne les « actions langagières », Bouchard & Rolet (2003) précisent les trois éléments qui constituent l’interaction : l’échange (un ou plusieurs tour(s) de parole), l’intervention (changement de locuteur ou de sujet) et l’acte (changement d’objectif d’interaction). Ils définissent l’échange ternaire (comporte généralement trois interventions)et l’échangebinaire (comporte deux interventions la première contraignant l’autre cela correspond à deux actions liées la première provoquant la deuxième ou la deuxième répondant à la première). Ce que Roulet (1987, p.23) définit par l’incursion « une interaction verbale délimitée par la rencontre et la séparation de deux interlocuteurs ». L’incursion est formée par trois types d’échanges :

  • un échange subordonné à fonction d’ouverture
  • un échange principal à fonction de transaction
  • un échange subordonné à fonction de clôture

L’échange peut être confirmatif (ouverture, clôture) ou réparateur (transaction) (Goffman, 1973). Ces actes sont reliés entre eux par des fonctions interactives. L’échange est formé par plusieurs interventions. L’intervention est formée par :

  • un acte subordonné facultatif
  • un acte principal (acte directeur)
  • un acte subordonné facultatif

Une autre approche des pratiques langagière en didactique des langues basée sur le discours en classe est celle présentée par Bernier (2002). L’auteur avance la notion de la « communauté discursive » qui est un lieu de stabilisation d’une manière d’agir (ibidem, p. 78). Il estime que l’apprenant reprend les rôles discursifs (initiation, réponse…) des divers participants à l’interaction (le savoir et le savoir-faire). Bernier insiste sur la co-construction de savoirs scientifiques et d’une manière d’agir-penser-parler scientifique pour garantir la cohérence de l’assimilation d’une notion. Il distingue trois phases dans la construction de la communauté discursive (idem, p. 83) :

  • Prendre la position d’ « énonciateur scientifique » : amener les élèves à prendre des distances par rapport à leurs fonctionnements quotidiens pour s’interroger (dans notre cas le contexte et la situation jouent un rôle important)
  • « Production d’énoncés collectifs stabilisés » par chaque élève par des propositions « détachées » du raisonnement en langage sans formel.
  • Établir des « poches de cohérence » : amener chaque élève à la formulation individuelle (surtout écrite) d’un point de vue organisé, tenant compte des acquis, ce que nous appellerons « stabilisation des connaissances » au cours des analyses. Cette stabilisation des connaissances présente un pas important pour la construction de la compréhension conceptuelle chez les élèves. Les « poches de cohérence » mettent au premier plan le rôle de l’enseignant sans tenir compte des activités des élèves pour les établir. La « stabilisation des connaissances » couvre à la fois le rôle de l’enseignant, l’activité de l’élève et les interactions entre ces deux pôles.