Chapitre 1. Les limites de « l’enseignement interactif » dans la réalisation de nouvelles intentions pédagogiques

Résumé du chapitre

L’enseignant, face à sa classe, interagit avec elle pour conduire l’apprentissage des élèves. C’est ce que nous appelons « l’enseignement interactif ». La qualité de l’apprentissage dépend largement de cette interaction, qui, même si elle est préparée soigneusement, repose sur des capacités personnelles d’improvisation et de décision, indispensables pour s’adapter à des situations particulièrement complexes, et souvent insaisissables.

Nous proposons une modélisation des représentations mentales de l’enseignant, dans un modèle d’enseignement interactif, qui montre que les limites de ses possibilités d’initiative proviennent avant tout du modèle lui-même.

Un autre facteur d’immobilisme semble être ce que nous appelons « les conceptions de l’enseignant ». Celles-ci fondent pourtant le sens et l’authenticité de son action. Elles sont incontournables dans la réalisation de nouveaux environnements pédagogiques. Les conceptions de l’enseignant semblent limitées par les possibilités d’initiative que lui laisse le contexte dans lequel il se trouve.

L’enseignement interactif, par sa nature, offrirait donc peu de possibilités d’évolution. Ce n’est donc pas la volonté ou la capacité des enseignants qui est en cause, mais le modèle d’enseignement. Pour réaliser des intentions pédagogiques qui permettraient de répondre à des situations pédagogiques plus complexes, il nous semble donc qu’il faille proposer un nouveau modèle dans lequel l’apprentissage des élèves ne se construirait pas autour de l’enseignement interactif. Il s’élaborerait selon un autre paradigme qui libèrerait l’enseignant des contraintes de l’improvisation par la création d’environnements différents, qui trouveraient en eux-mêmes leur propre dynamisme. Ces environnements ouvriraient des possibilités de réalisation, par les enseignants eux-mêmes, d’intentions pédagogiques convenablement définies. Ils offriraient aussi un cadre naturel à la collaboration, aux échanges, et donc à l’évolution de leurs conceptions.

Les pratiques enseignantes évoluent peu : c’est du moins l’impression que l’on peut avoir de l’intérieur du système : les programmes ont changé, les exigences ne sont plus les mêmes qu’il y vingt ans, les rapports humains entre élèves et enseignants sont plus directs et plus simples, mais ce qui se passe entre les deux sonneries qui rythment le temps pédagogique est très semblable à ce qui se passait : l’enseignant dirige, organise, montre, parle. Tout part de lui, et remonte vers lui.

Pendant ce temps, les sciences de l’éducation ont rapidement évolué, en particulier dans les pays anglo-saxons. Elles ont beaucoup modélisé, cherché le sens, décliné le rôle de l’enseignant. La psychologie cognitive a élargi son champ, est devenue plus précise, les méthodes cognitives se multiplient. Et pourtant…

‘« Les réformes passent comme les modes», me paraît traduire le point de vue majoritaire de partenaires impliqués mais non concernés. Ils ne croient pas à l’efficacité qui ne les touche pas effectivement, puisqu’elle ne génère pas chez eux cet accroissement de l’intelligibilité de la situation éducative qui, seul, leur conviendrait au point de susciter des prises de décision personnelles engageantes. » 11

Le rapport entre théorie et pratique dans le monde enseignant est tel que l’intention pédagogique, même apparemment fondée et novatrice, se perd dans une pratique dominante et, à peu près, immuable.

Pourquoi cet apparent immobilisme ? Qu’est-ce qui fonde le comportement d’un enseignant, en particulier celui d’un enseignant « expert » ? Quelle est sa liberté d’action ? Quelles sont les principales contraintes qu’il rencontre ? Peut-il prendre en compte des considérations théoriques pour infléchir sa pratique, ou bien le contexte dans lequel il se trouve le condamne-t-il à assumer un divorce toujours plus grand entre une théorie qui semblerait conduire vers de nouvelles façons de concevoir l’apprentissage et une pratique largement immuable ? En cherchant à répondre à ces questions, nous allons tenter de cerner certaines des causes de cet apparent blocage.

Notes
11.

Lerbet Georges (1995) Les nouvelles sciences de l’Éducation, Nathan Pédagogie, p 44