3. Comment devient-on un enseignant interactif expert ? Une proposition de modélisation

3.1. Modéliser pour comprendre

On peut faire l’hypothèse que l’intégration de nouveaux comportements est un processus qui va avoir de nombreux points communs avec celui qui a fait de l’enseignant un expert dans son domaine. Comment l’enseignant devient-il un expert ? Pour tenter de donner une réponse à cette question, nous proposons de tenter une modélisation du processus. Ces éléments de modélisation pourraient conduire une réflexion plus cohérente sur la possibilité de réalisation d’intentions pédagogiques nouvelles dans des pratiques déjà bien constituées.

L’intelligence artificielle a tenté de formuler un certain nombre de concepts dans le but de construire des modèles de comportements intelligents. Le but de l’intelligence artificielle était fort différent du nôtre. Il s’agissait de programmer des ordinateurs pour résoudre des problèmes auxquels sont confrontés des humains. Notre propos est autre : des éléments de modélisation fournis par l’intelligence artificielle peuvent nous aider à proposer une interprétation cohérente du comportement des enseignants chevronnés. Cette interprétation constitue, par nature, une simplification d’une réalité beaucoup plus complexe. Cependant, cette interprétation simplificatrice pourrait avoir assez de liens avec la réalité pour la rendre plus intelligible. Les éléments de modélisation que l’on peut proposer pourraient nous fournir des pistes pour la réflexion et pour l’action, si, comme l’écrit Le Moigne, « modéliser, c’est instrumenter » 21 . Comme l’écrit encore Schneider,

‘« Le modèle devient le lieu, où observations empiriques et questions théoriques se discutent et se construisent en collaboration entre les chercheurs impliqués dans le projet, d’autres chercheurs et, si possible, les sujets étudiés. […] Dans la pratique, il y a modèle si le modèle permet de savoir quelque chose de plus sur l’original » 22

Les modèles créés par l’intelligence artificielle ont été souvent critiqués.

‘« L’intelligence artificielle est devenue un des terrains de bataille favoris de la philosophie de l’esprit. Comme peu de disciplines des sciences humaines, elle est explicite et revendicatrice. Elle s’attire en conséquence les critiques venant de nombreux autres domaines, mais elle se met également elle-même en question par le simple fait que ses programmes doivent tourner de mieux en mieux. Nous montrons ici que la plupart des critiques sont justifiées, mais que les solutions proposées aux problèmes font défaut. Ces critiques ont un impact sur l’ancrage épistémologique des modélisations IA […] » 23

Le propos de Daniel K Schneider est de proposer, dans sa thèse une modélisation de la conduite du décideur politique. Il écrit que cette modélisation :

‘«[…] gagne en puissance si on traite le décideur en tant qu’acteur qui perçoit et traite de l’information à travers son savoir et son savoir-faire. La démarche scientifique s’enrichit grâce à la modélisation. Notre projet est de voir comment, à partir de ces deux prémisses, on doit développer l’analyse du décideur ». 24

Schneider choisit la perspective de l’intelligence artificielle pour proposer cette modélisation.

‘« Le plus grand déficit auquel nous devons faire face aujourd’hui se trouve au niveau des modèles. Ce n’est qu’avec des modèles que nous arriverons à réduire l’écart énorme qui existe entre les prétentions des théories et la réalité de l’observation empirique. Le mécanisme de base de la compréhension de phénomènes complexes (en sciences et dans la vie quotidienne) fait usage de modèles. Nous pensons que les modèles les plus intéressants sont ceux qui sont en relation d’ homomorphie avec les phénomènes qu’ils modélisent. » 25

Les propos de Daniel Schneider s’appliquent à notre champ de réflexion : un modèle peut nous aider à interpréter le comportement d’un enseignant dans l’action.

Les modèles proposés en Intelligence Artificielle peuvent être remis en cause, et il est important qu’ils le soient. Par exemple, Schneider écrit :

‘« la phénoménologie met en question la validité des structures de représentations permanentes et universelles que l’on retrouve dans les modèles IA. Elle interdit la production de savoir sur les processus cognitifs explicites et indépendants de l’interpréteur humain. Certes, la critique de base est assez juste, mais il faut la relativiser (comme le fait Searle) et considérer les modèles IA comme des constructions analytiques qui ne sont pas des copies du cerveau humain. » 26

Nous sommes donc au niveau d’une interprétation, et non pas d’une copie de ce qui génère le comportement d’un décideur. La démarche de Schneider nous intéresse particulièrement, parce qu‘un enseignant expert est un décideur qui doit prendre rapidement les bonnes décisions. Nous attendons de la modélisation qu’elle nous aide à interpréter, de façon plus précise, le comportement, en grande partie mystérieux, de l’enseignant chevronné et du lien qu’il fait entre ses intentions pédagogiques et sa pratique.

Notes
21.

LE MOIGNE , J.L.(1995) le constructivisme, modéliser pour comprendre, ESF ,Paris

23.

SCHNEIDER Daniel K, ibid, Chapitre 7, 3,1

24.

SCHNEIDER Daniel K, ibid, Chapitre 7, 3,1

25.

SCHNEIDER Daniel K, ibid, Chapitre 7, 3,1

26.

SCHNEIDER Daniel K, ibid, Chapitre 7, 3,1