4.1. La modélisation par les plans mentaux permet d’interpréter l’improvisation créatrice de l’enseignant interactif

Rober Yinger 34 donne huit caractéristiques de l’improvisation :

  1. L’improvisation est une action adaptée aux situations qui interdisent l’analyse par manque de temps, au vu d’interactions immédiates.

Nous sommes bien là dans la situation d’un enseignant interactif.

  1. L’improvisation est un arrangement à partir de modèles contextualités de pensée et d’action.

Pour nous, ces modèles sont organisés en plans mentaux

  1. Ces modèles sont des configurations praticiennes de pensée incarnée mises en action dans le vécu selon des contraintes spéciales du contexte.

Yinger exprime simplement que la pensée est liée à l’action en tenant compte du contexte. On retrouve encore une caractéristique des « plans mentaux »

  1. La méthode de travail dans l’improvisation serait à priori rétrospective, les modèles de l’action passée réglant l’action en train de se faire.

Autrement dit, on reconnaît dans la situation actuelle quelque chose d’une situation passée que l’on peut réactiver, on applique alors le plan avec toutes ses capacités d’adaptation à la situation actuelle.

  1. L’aptitude à improviser est fondée sur l’intégration de modèles en réponse continue à des buts et exigences soumis à une grande variabilité.

Le point important nous semble ici l’idée de réponse continue. L’improvisation conduite par l’enseignant ne souffre pas de temps morts. Il doit s’adapter à des buts qui peuvent survenir inopinément, et semble parfois incongru, comme peuvent le sembler des réactions d’élèves. Si les plans ne se fondent pas, ils doivent pouvoir s’appliquer simultanément, c’est-à-dire que l’enseignant doit, pouvoir courir plusieurs lièvres à la fois.

  1. Les modèles de l’improvisation sont structurés par l’action et intègrent des configurations finalisées de connaissances.

Ces configurations finalisées de connaissances peuvent être représentées par des plans mentaux associés à des connaissances, c’est-à-dire des séries d’actions organisées conduisant à l’acquisition de connaissances.

  1. L’aptitude à l’improvisation est synthétique et combinatoire, non analytique.

On n’explique pas une improvisation, même si elle n’est pas laissée au hasard ; nous pensons que l’abduction rentre pour une large part dans ce processus.

  1. L’improvisation semble à priori dirigée vers le maintien de relations : entre acteurs et matériel, entre acteurs et instruments, entre acteurs et autres participants.

Le motif qui conduit l’improvisation de l’enseignant est bien de garder le contact avec les élèves et avec ce qu’il veut enseigner.

L’enseignant interactif se caractérise par sa capacité à adapter des stratégies au contexte de la classe, ce qui peut sembler constituer une forme d’improvisation, avec prise de décisions rapides, fondées sur des démarches abductives plutôt que déductives. La modélisation sous la forme de plans mentaux nous permet d’interpréter les interventions de l’enseignant chevronné. Son expertise ne se résume pas dans la constitution des plans mentaux, ce qui donnerait une interprétation statique qui ne pourrait représenter une réalité particulièrement dynamique, mais bien dans l’interaction des multiples plans et de leur adaptation à des contextes variés. Il faudrait alors chercher l’expertise non pas dans les plans mentaux déjà formés, dans l’automatisation qu’ils fournissent, mais dans un plan de niveau supérieur qui gérerait les interactions entre les autres plans. Du point de vue symbolique, ce plan est représenté par ce que Miller appelle une image (objets symboliques pouvant être complexes, et qui peuvent regrouper les noms de plusieurs plans.)

Cette organisation mentale de l’enseignant se construit lentement : dix ans semble-t-il. L’essentiel du travail de recherche de l’enseignant novice concerne cette construction, et l’on comprend que la « théorie » qu’on lui livre, dans la mesure où elle l’entraîne très loin de cette structuration, semble assez peu le concerner.

Notes
34.

En particulier dans YINGER, R.J. 1987. Learning the Language of Practice. Curriculum Inquiry 17:3, 294-318., cité par TOCHON, op cité, p110