7.1. Des conceptions des élèves en sciences aux conceptions de l’enseignant

Pour proposer une définition plus précise du terme conception appliqué à un enseignant, nous envisagerons son emploi en didactique des sciences et en mathématiques, quand on parle des conceptions des élèves. La définition de ce terme reste encore assez floue, comme le soulignent Dupin et Joshsua :

‘« La terminologie concernant les conceptions d'élèves varie beaucoup selon les auteurs : on trouve les expressions de raisonnement naturel, raisonnements implicites, cadres de référence alternatifs, préconceptions, représentation, schèmes cognitifs, etc. » 35

Ils ajoutent cependant :

‘“Les caractéristiques attribuées aux "conceptions" semblent pratiquement faire l'objet d'un consensus actuellement. Les "conceptions" sont souvent présentées comme des modèles utilisés par les élèves, et c'est dans cette perspective que nous les utiliserons.’

Il s’agirait donc d’une forme de modélisation qui trouverait son origine dans l’action et l’observation :

‘"Les hypothèses initiales avancées par les élèves peuvent, dans ce cadre [expérimental] être produites par l'observation. Elles seront plus sûrement sous-tendues par les conceptions implicites dont ils disposent à cette étape. Notre choix consiste à donner à celles-ci un véritable statut de "première modélisation" au sens de la physique. 36

Cette modélisation ne serait pas explicitée, mais orienterait à la fois la réflexion et l’action. Il s’agirait d’une modélisation primaire, locale, sans grande portée générale.

Les conceptions ne seraient valides que dans une certaine classe de situations :

‘«Schèmes cognitifs, naïfs au regard de la théorie scientifique, [qui] sont pertinents dans une certaine mesure. La pertinence ne se définit que par rapport à une classe de situations ou de problèmes. Dans certains cas, le modèle conceptuel utilisé par les élèves est tel qu'il fait "disparaître" une contradiction qui existe dans le modèle "scientifique".»’

Les contradictions sont un des moteurs de la pensée scientifique : une contradiction conduit à une théorie nouvelle dans laquelle cette contradiction n’existera plus. Les conceptions des élèves ne joueraient pas ce rôle, mais, semble-t-il, plutôt le rôle inverse : elles trouveraient des justifications à des contradictions observées.

Naïves, fausses ou incomplètes en sciences comme en mathématiques, ces conceptions seraient même des obstacles à un apprentissage correct des concepts. C’est ce que soulignent les deux auteurs précédents :

‘“Comme Bachelard le décrit avec force, ce « sens commun », sous ses diverses modalités et composantes, serait constitué en obstacle face à l'appropriation des savoirs scientifique. » 37

Les conceptions des élèves seraient donc, pour l’enseignant, une difficulté à surmonter, mais avec laquelle il faut bien vivre. Pourtant les conceptions peuvent être cohérentes, et même mériter le qualificatif de “modèles théoriques alternatifs” :

‘« Elles peuvent fonctionner comme des sortes de modèles théoriques alternatifs des modèles canoniques, avec parfois une cohérence interne remarquable » 38

Cette cohérence locale constitue un obstacle à l’apprentissage des concepts scientifiques.

Où s'enracinent les conceptions ? Certaines de ces conceptions proviennent de l’environnement social, de ce qu’on pourrait appeler “l’idéologie dominante”.

‘“L'une de ces sources peut être l'environnement social, lequel produirait un bain culturel nourrissant des conceptions, voire des préjugés, très communément partagés. » 39 ”’

Elles constituent une synthèse personnelle, à un moment donné, et sont le fruit d’une forme de pensée réflexive.

‘"Ce qui fait la force de telles représentations dans le système de pensée de l'enfant, c'est qu'elles comportent une logique propre ; ce sont des connaissances erronées, peut-être, mais structurées, faisant intervenir des hypothèses "théoriques", des observations empiriques et une rationalisation de ces différents éléments dans des schémas explicatifs."’

C’est une synthèse provisoire de points de vue très différents, mais qui n’est pas figée et qui peut évoluer.

‘"En plus de leur degré de pertinence dans les situations traitées, ces conceptions ont des capacités de progression. Il s'agit de véritables modélisations en miniature qui peuvent fonctionner en partie comme celles du physicien." 40

Les conceptions des élèves, en sciences et en mathématiques, peuvent être considérées comme un processus d’une pensée qui se cherche et non pas comme le produit d’une pensée achevée. Ce processus se fonde aussi sur des fonctions cognitives en cours de constitution. Le résultat provisoire de ce processus apparaît naïf parce qu’on peut le comparer à des concepts scientifiques et mathématiques qui se sont constitués avec le temps, qui sont le fruit du travail et de remises en cause pendant des années. Ces concepts constituent une norme et les conceptions des constructions personnelles et provisoires. Les conceptions peuvent être considérées comme une tentative non complètement aboutie de chercher le sens.

Notes
35.

JOHSUJA S.,1989, Les conditions d'évolution de conceptions d'élèves, Construction des savoirs, N. Bednarz et C. Garnier (dir.), CIRADE, Agence d'ARC inc., Ottawa, pp. 306-314

36.

JOHSUJA S.,1989, Les conditions d'évolution de conceptions d'élèves, Construction des savoirs, N. Bednarz et C. Garnier (dir.), CIRADE, Agence d'ARC inc., Ottawa, pp. 306-314

37.

DUPIN Jacques et JOHSUA Samuel, (1993), Introduction à la didactique des sciences et des mathématiques, PUF, Paris, p 133

38.

DUPIN Jacques et JOHSUA Samuel, ibid, p 133

39.

DUPIN Jacques et JOHSUA Samuel, ibid, p 131

40.

Dupin J.J. et S. Johsua ,1993, Pertinence et Persistance : scène de classe ou scène de ménage ?, Les Cahiers Pédagogiques, N° 312, Mars 1993, pp. 15-17