Chapitre 2. Les fondements d’une pédagogie de l’activité : la « théorie de l’activité », Vygotski, Leontiev, Luria, Engeström

Résumé du chapitre

L’enseignement interactif offre peu de possibilités d’évolution : l’apprentissage y est trop dépendant de l’enseignement. Il repose principalement sur les qualités d’improvisateur et de décideur de l’enseignant.

Peut-on proposer une alternative à l’enseignement interactif ?Pour cela, nous allons nous tourner vers une analyse de l’activité humaine conduite sous la direction de Yrjo Engeström, dans le cadre du « Centre for Activity Theory and developmental research ». Il s’en dégage un modèle systémique qui intègre son objet et les moyens de sa réalisation. C’est ce modèle qu’on nomme « activité ». Leontiev a montré qu’une analyse de « l’activité humaine » n’était significative que si elle se déroulait dans un environnement offrant un minimum de richesses quant aux échanges humains, aux ressources matérielles, à ses mobiles. Quand elle est morcelée, l’activité humaine perd son sens et sa dynamique intrinsèque. Or, l’apprentissage scolaire se déroule dans un cadre beaucoup plus pauvre que ce minimum.

Notre but est de montrer que l’apprentissage est aussi une activité humaine, sans doute la plus fondatrice, et qui n’a de sens que dans une structure au moins aussi riche que celle offerte par le modèle de l’activité.

Pour cela, nous allons tenter de montrer que la théorie de l’activité, dont l’origine ressort du domaine de la psychologie, peut être adaptée pour offrir des conditions particulièrement favorables au développement, à l’apprentissage, et à l’acquisition de compétences, de concepts, de connaissances.

Dans ce chapitre, nous nous attacherons à montrer que la théorie de l’activité est aussi le résultat d’une réflexion sur le développement et l’apprentissage. Mais il ne s’agit plus d’un enseignement interactif, mais d’un apprentissage faisant une large place à l’action, à l’utilisation d’outils, à l’interaction sociale, à la médiation et au concept de zone proximale de développement. Comment se constitue l’apprentissage et l’acquisition du sens dans ce nouveau contexte ? C’est à cette question que tente de répondre ce chapitre.

On se trouve ainsi à esquisser les contours d’un cadre théorique qui élargirait nos possibilités d’action pédagogique, peut-être plus en accord avec les modalités réelles de l’apprentissage. Cette approche déplacerait le rôle de l’enseignant : elle le libèrerait de la gestion immédiate de sa classe et lui offrirait une palette d’interventions plus adaptées aux difficultés réelles d’apprentissage des élèves. Nous donnerons le nom de « pédagogie de l’activité » à cette structure pédagogique.

Si l’enseignement interactif trouve ses limites dans l’organisation de la classe et dans les conceptions de l’enseignement, la mise en place d’une autre structure nous semble devoir reposer sur une réflexion théorique.

En effet, on pourrait tenter des aménagements pratiques au cadre de l’enseignement interactif, comme le font de nombreux enseignants, désireux de rapprocher leur enseignement des capacités d’apprentissage de leurs élèves. Mais ces tentatives reposent sur le talent et la volonté. L’expérience n’est, en général, pas transmissible. En revanche, un cadre théorique peut l’être. Il fournit alors un nouveau point de vue qui élargit le champ des possibles.

Ce cadre théorique reste à construire. C’est dans cette optique que nous allons partir de la « théorie de l’activité », telle qu’on la trouve formulée par le « Centre for Activity Theory and Developmental Research », sous la direction de Yrjo Engeström 46 . Cette théorie traite de l’activité humaine, et est surtout l’œuvre de psychologues. Il ne s’agit donc pas d’appliquer la théorie de l’activité au domaine pédagogique, mais de considérer que l’apprentissage est une activité humaine particulière qui a ses propres contraintes. Nous allons donc considérer la théorie de l’activité d’un point de vue pédagogique, en montrant que sa structure nous semble pouvoir promouvoir des démarches qui conduisent au développement et à l’acquisition de connaissances.

Notes
46.

Professeur du département « Adult Education » et Directeur du « Center for Activity Theory and Developmental Work Research » à l’Université de Helsinki.