C’est en donnant une interprétation du langage égocentrique radicalement différente de celle de Piaget que Vygotski a fait jouer au « langage intérieur » un rôle fondamental dans l’acquisition du sens. Le langage égocentrique, pour Piaget , est un langage que le jeune enfant utilise à un certain moment de son développement, quand il se parle à lui-même tout en agissant. Piaget considérait ce langage comme un langage social abâtardi, destiné à disparaître avec le temps. Vygotski au contraire considérait 73 :
‘[…]Le langage intérieur non pas comme un langage moins le son mais comme une fonction verbale tout à fait spéciale et originale par sa structure et son mode de fonctionnement, qui, justement parce qu'elle est organisée tout autrement que le langage extériorisé, forme avec ce dernier une unité dynamique indissoluble lors des passages d'un plan à l'autre. La première et la plus importante particularité du langage intérieur est sa syntaxe tout à fait spéciale. En étudiant cette syntaxe du langage intérieur dans le langage égocentrique de l'enfant, nous avons remarqué une particularité essentielle, qui manifeste une tendance dynamique incontestable à croître à mesure que le langage égocentrique se développe. Cette particularité, c'est le caractère en apparence décousu, fragmentaire, abrégé du langage intérieur par rapport au langage extériorisé. [...]’Le langage intérieur, bien loin de disparaître, acquerrait une syntaxe tout à fait particulière associée à son rôle essentiel dans la pensée.
‘Nous pourrions dire sous forme de loi générale que le langage égocentrique révèle au fur et à mesure de son développement non pas une simple tendance au raccourci et à l'omission de mots ni une simple évolution vers le style télégraphique mais une tendance absolument originale à l'abrègement de la phrase, de la proposition, qui conserve le prédicat et les éléments qui s'y rapportent tandis que le sujet et les mots qui s'y rattachent sont omis. La tendance au caractère prédicatif de la syntaxe propre au langage intérieur s'est manifestée avec une régularité parfaite et presque sans exception dans toutes nos expériences, de sorte qu'en fin de compte nous devons, en recourant à la méthode de l'interpolation, supposer que le caractère purement et absolument prédicatif est la forme syntaxique fondamentale du langage intérieur.’Le langage intérieur, ce langage silencieux, aurait comme fonction de construire le sens. Et plus il jouerait ce rôle, plus les caractéristiques de sa syntaxe s’accenturaient.
‘Au terme de ces expériences nous avons pu établir la règle remarquable que voici: plus le langage égocentrique se manifeste en tant que tel dans sa signification fonctionnelle, et plus les particularités de sa syntaxe – simplification et caractère prédicatif – sont accentuées 74 . ’Mais même si la syntaxe est particulière le langage intérieur reste un langage.
‘Le langage intérieur est tout de même un langage, c'est-à-dire une pensée liée au mot. Mais, si dans le langage extériorisé la pensée s'incarne dans la parole, la parole disparaît dans le langage intérieur, donnant naissance à la pensée. Le langage intérieur est pour une large part une pensée exprimant des significations pures. 75 .’Le langage intérieur se rapprocherait donc des « significations pures », et c’est ce qui pourrait faire son grand intérêt pédagogique.
VYGOTSKI Lev, op cité, p 478-500
VYGOTSKI Lev, 1997, op cité, p 477
VYGOTSKI Lev, 1997, op cité, p 489