2.4. La conscience parce qu’elle repose sur l’interaction humaine, ne peut se constituer et n’évoluer que dans le cadre minimum de « l’activité ».

Pour lui, la conscience ne se constitue pas par une intériorisation du monde extérieur, même si cette intériorisation en fait partie. Il ne faut d’ailleurs pas considérer cette intériorisation comme une simple transposition objective sur un écran mental, mais comme une transformation active et personnelle d’une perception sensorielle. L’image intériorisée, nous dirons l’évoqué, n’est pas de la même nature que l’objet auquel elle est associée. L’objet est concret, il a une réalité sensorielle. L’évoqué est idéalisé. Il a un sens, donné par le sujet à l’occasion d’une réflexion consciente. Cette transformation se fait par l’intermédiaire du langage, plutôt des langages. Les langages (mots, graphiques, schémas, symboles, signes …) , et le langage intérieur, participent à la transformation de l’objet matériel externe en un évoqué significatif. Pour parler plus simplement, l’évoqué est non seulement le résultat d’une transformation de l’objet matériel concret en une image consciente, mais il est aussi le résultat de ce « qu’on en dit », que ce soient les autres ou soi-même. « Ce qu’on en dit », ce peut être des interprétations que l’on fait pour parler de cet objet, pour le situer, ou des relations qu’on établit dans un débat avec les autres ou avec soi-même. « Ce qu’on en dit » est le résultat d’une interaction avec d’autres eux aussi concernés. L’évoqué présent à la conscience est constitué par des échanges et des médiations autant que par la perception sensorielle. Si l’on se place dans une situation où ces relations humaines ne peuvent se développer, l’intériorisation significative aura peu de chances de se produire.

Pour illustrer ce propos, prenons l’exemple de ce dessin :

Il ne s’agit que quelques traits sur du papier, qui ont une couleur et des dimensions. Pourtant l’évoqué est de nature différente : les dimensions précises ont disparu, et ce triangle particulier représente tous les triangles qui ont leurs côtés égaux : les deux petits traits sur les côtés sont des éléments de langage exprimant cette égalité. Mentalement, ce n’est donc plus un triangle particulier, mais un concept, celui de triangle isocèle, indépendamment de la couleur, des dimensions et même de la forme. Le passage de l’image sur le papier à l’évoqué se fait en grande partie à partir d’un commentaire sur l’image et non de l’image elle-même. C’est ce qu’on dit de l’image qui lui donne un sens. Il y a un contexte, mathématique ici. Il y a un codage, les petits traits, il y a l’aboutissement d’une évolution historique, il y a ce que le professeur en a dit, et ce que les élèves en ont dit. Tout cela a permis une interprétation de l’image physique en une représentation mentale d’une autre nature.

Cet exemple est très simple, mais on retrouvera cette démarche très complexifiée quand il s’agira de se représenter un texte littéraire ou de lui donner un sens. La conscience du texte ou du problème est le résultat non seulement d’une perception sensorielle mais d’une interprétation fondée sur des échanges, un contexte particulier et un point de vue.