9. Une pédagogie de l’activité pour réaliser de nouvelles intentions pédagogiques ?

Le modèle développé par Engeström est une description d’une unité minimale permettant à la fois le déploiement et l’analyse d’une activité humaine qui aurait un sens. Ce modèle suggère donc une organisation.

Cette organisation est-elle pédagogiquement fondée ? Elle le sera si elle correspond à un approfondissement des conditions sociales de l’apprentissage. C’est en effet de cela qu’il s’agit : les interactions sociales sont à l’origine des apprentissages scolaires, même si elles se résument quelquefois à un contact entre un professeur et des élèves. L’école regroupe des élèves. Dans la plupart des cas, on considère que leur nombre et leurs différences sont des problèmes qu’il faut surmonter avant d’enseigner, ou qu’il faut enseigner en dépit du nombre et de l’hétérogénéité.

On peut maintenant imaginer une autre approche qui profiterait du nombre des élèves et de leurs différences pour construire une organisation sociale qui pendrait en charge certains aspects de l’apprentissage. Une classe traditionnelle n’est pas organisée socialement. Elle est organisée par des conditions matérielles (murs, tables, bureaux, tableaux, laboratoire, etc) ce qui contraint l’enseignant à intervenir souvent et directement pour gérer la classe et l’enseignement. Dans ce cadre, le changement est difficile. Par contre, si l’on parvient à constituer une organisation sociale qui prendrait en charge certains aspects de l’apprentissage, c’est en agissant sur les paramètres de cette organisation que l’on pourrait réaliser certaines intentions pédagogiques. Il faut pour cela que l’organisation projetée constitue bien un environnement dans lequel des élèves apprennent, c’est-à-dire qu’action et connaissance se retrouveraient liées.

Engeström est l’héritier, entre autres, de Vygotski, de Leontiev et de Luria : le premier a montré l’importance de la zone proximale de développement, pour analyser les capacités d’un élève et surtout les moyens d’induire le développement Il a montré que les outils et les instruments peuvent non seulement permettre de transformer l’environnement, mais aussi et en même temps, de « construire l’esprit », comme le langage, en parlant aux autres, parle aussi à soi-même. Ces outils peuvent êtres purement matériels, mais aussi psychologiques ou de gestion mentale, c’est-à-dire qu’ils structurent une démarche mentale, permettent l’acquisition de savoirs, de connaissances, de concepts. Cela est possible à travers l’acquisition de schèmes et par le développement du langage intérieur. La médiation, médiation par l’outil, médiation par l’autre, que ce soit un pair, un enseignant, ou tout autre intervenant, facilite le voyage dans la zone proximale de développement. Le triangle d’Engeström offre plusieurs possibilités de médiation, différentes dans leur nature et leurs fonctions, mais, semble-t-il, complémentaires.

Tout ceci exige que l’apprentissage se situe dans un cadre assez riche et l’activité semble offrir un cadre minimum. La structure proposée par Engeström constitue une tentative d’organisation sociale à la fois naturelle et minimum pour que les interactions sociales favorables à l’apprentissage puissent se développer.

L’expansion de l’activité peut offrir un moyen de provoquer des apprentissages de nouveaux concepts, de nouveaux comportements et de faire évoluer les pratiques sociales des acteurs.

La théorie de l’activité n’est pas simplement une description de l’activité humaine, ce n’est pas non plus seulement une proposition d’organisation sociale de l’apprentissage, mais c’est aussi un ensemble de moyens correspondant à un approfondissement de la réflexion sur l’apprentissage vu en relation étroite avec une organisation sociale. Quand cette organisation sociale n’existe pas comme c’est le cas dans une classe, il reste à tenter de la reconstituer. La théorie de l’activité semblerait nous donner des moyens pour le faire. Elle semblerait donc offrir des possibilités nouvelles quant aux liens entre intention pédagogique et réalisation pédagogique.

C’est l’hypothèse sur laquelle nous allons fonder notre travail : les principes sous-jacents à la théorie de l’activité peuvent servir de support à une organisation sociale de la classe fournissant un ensemble de paramètres permettant de réaliser une intention pédagogique, telle que nous en avons donné une définition.

Nous appellerons « pédagogie de l’activité » une tentative de concrétisation de la théorie de l’activité dans le domaine scolaire.

Alors, une première question s’impose : une pédagogie de l’activité est-elle possible ? Pour répondre à cette question, il reste à faire une tentative de réalisation en mettant en évidence une démarche et les contraintes qui pourraient conduire à sa mise en place. Il faudra vérifier qu’il s’agit bien d’une « pédagogie de l’activité » et décrire les paramètres qui permettraient de réaliser une intention pédagogique.