2. L’expression d’une compétence

On a pris l’habitude d’exprimer une compétence sous la forme d’un verbe à l’infinitif : il s’agit bien d’agir, ce qui se pourrait se traduire par un comportement observable. Or, une compétence est beaucoup plus qu’un comportement, ne serait-ce que par sa complexité. Elle met en œuvre de nombreux savoir-faire et des connaissances, qui sont adaptés, organisés et intégrés pour tenir compte du contexte. L’ensemble se concrétise dans une démarche complexe qui comporte des invariants quels que soit le contexte, mais aussi de nombreuses variantes, qui dépendent du problème à résoudre. La compétence est un projet, donc elle est associée à une certaine représentation d’un but et de schémas d’organisation de l’action pour l’atteindre. Dans ces schémas d’organisation, on trouve des schémas d’adaptation et de particularisation au contexte.

Si l’on veut décrire une compétence, c’est pour la cerner et pouvoir créer les conditions de son apprentissage. C’est aussi pour savoir si un individu ou un groupe ont agi avec compétence, donc pour faire une certaine évaluation. Pour nous, enseignant, ces deux fonctions sont également importantes.

Définir une compétence comme un projet, et en particulier un projet plausible, c’est affirmer que la compétence correspond à une certaine représentation, disponible avant d’entreprendre l’action, assez précise pour pouvoir la diriger, assez souple pour pouvoir être adaptée au contexte, et assez fiable pour être plausible. La description que nous donnons d’une compétence doit concourir à ces quatre caractéristiques : la représentation, la précision, la souplesse, la fiabilité.

Guy le Boterf 107 propose de décrire une compétence en utilisant des gérondifs.

‘C’est donc bien par rapport à des nouvelles exigences sur la façon de faire ou d'agir que va se définir la compétence requise et que devront se construire les compétences réelles, singulières, des personnes.’

En d'autres termes, et pour risquer une formulation insolite mais significative, je dirais que « la compétence s'exprime au gérondif ». Le gérondif est bien la forme verbale qui permet « d'exprimer des compléments circonstanciels de simultanéité, de manière, Petit Robert), qui sert à «décrire certaines circonstances de l'action » (Petit Larousse).

Il est souvent dit et il est communément admis que les compétences doivent être exprimées avec des verbes d'action. Certes, mais l'infinitif n'est pas suffisant. Le gérondif permet d’indexer la compétence requise à un contexte particulier de travail. Il traduit cette caractéristique maintes fois affirmée de la compétence et faisant maintenant l’objet d'un large consensus: toute la compétence est contextualisée.

L'expérience montre qu’une telle formulation a I’intérêt de traduire de façon opérationnelle les fameux «savoir être». Plutôt que de mentionner « esprit méthodique» ou « sens de la méthode» (ce qui ne veut pas dire grand-chose...), on indiquera avec quelle démarche ou quel type de méthode l’activité doit être réalisée; plutôt que d’évoquer des savoir-faire relationnels, on précisera avec qui et comment la personne (échanges d’information, négociation, concertation...) devra coopérer pour résoudre tel problème ou réaliser tel projet.

En effet, une description de ce qui « est souvent fait » pour être compétent précise la nature de la compétence, mais donne des pistes pour l’acquérir. Ces types de description s’adressent directement à l’apprenant qui sait, à la fois ce qu’il veut atteindre et comment y parvenir.

Le verbe à l’infinitif constitue l’intitulé de la compétence, les gérondifs indiquent les circonstances de réalisation de la compétence et les façons de la réaliser. Il nous semble qu’une description de ce type donne des possibilités de représentation suggérant une action dans un contexte. Par exemple, généraliser peut être considéré comme une compétence pouvant s’exercer dans des contextes différents. En voici une description :

Généraliser

La compétence « généraliser » demande de savoir « analyser » . Analyser peut aussi constituer une compétence, mais l’usage du gérondif signifie aussi que l’analyse dont il est question ici est effectuée dans un contexte précis, celui de la généralisation. C’est ce contexte qui donne son sens aux activités d’analyse. L’analyse est donc contextualisée. On ne prétend pas que des élèves ayant effectué des analyses méthodiques de cas particuliers en mathématiques ou en français auront développé la compétence « analyser ». Ils se souviendront peut-être que pour généraliser, on peut analyser méthodiquement des cas particuliers, et que pour analyser méthodiquement des cas particuliers pour généraliser, on peut procéder de telle ou telle façon. Le gérondif, tel que nous l’utilisons, n’a pas de caractère d’obligation, mais simplement rappelle que généraliser peut passer par une phase d’analyse méthodique de cas particuliers. La porte n’est pas fermée et d’autres possibilités de généralisation restent possibles.

L’emploi du gérondif indique donc :

Ces façons de procéder sont contextualisées et ne sont pas, à priori, transférables.

Notes
107.

LE BOTERF Guy, (2000,2001) ; Construire les compétences individuelles et collectives, Éditions d’Organisation, Paris, pp 53-60]