6.3. Les compétences peuvent constituer un objet.

Rappelons la description que nous donnions d’un objet, ainsi que les rapports entre objet et production :

‘L’objet ouvre un espace, et du même coup, crée un désir : diminuer l’écart entre l’espace ouvert par l’objet et la distance entre cet espace et le sujet. En ouvrant un espace, l’objet crée en même temps un manque, celui de rentrer en contact avec cet espace.’ ‘La production est une tentative concrète de se rapprocher de cet espace en en investissant une partie. Cet espace investi en laisse encore toute une partie inexplorée: la production n’épuise pas le désir et ne recouvre pas l’objet. Cette tension entre production et objet est, pour nous, le moteur de l’activité.’ ‘L’objet n’est donc pas un objectif, mais bien un mobile. Il définit un champ d’exploration, un espace de problèmes, un domaine assez proche pour pouvoir être exploré, assez lointain pour que cette exploration ne soit pas immédiate, et assez vaste pour qu’il faille, le plus souvent, s’y mettre à plusieurs. L’objet détermine un projet que la production contribue partiellement à réaliser’

Une compétence peut-elle constituer un objet ? Il nous semble que oui. Une compétence, même quand elle est portée par un individu, s’acquiert dans une collectivité, et se manifeste dans une collectivité. « S’y connaître » dans un domaine suppose le partage non seulement de connaissances, mais de savoir-faire, d’échanges qui se manifestent à l’intérieur d’un groupe. C’est bien le propos de Guy Le Boterf 114

‘Les compétences se réfèrent toujours à des personnes. Il n'existe pas de compétences sans individus qui les portent. Qui plus est: les compétences réelles sont des constructions singulières, spécifiques à chacun. Face à un impératif professionnel (réagir à un événement, atteindre un objectif, résoudre un problème, réaliser une activité...), chaque sujet mettra en œuvre sa propre « façon de s'y prendre» ou - pour reprendre un terme savant des ergonomes - son propre « schème opératoire».’ ‘Cette évidente portabilité des compétences par les personnes ne doit pas conduire à la conclusion erronée selon laquelle la compétence serait uniquement une affaire individuelle. Peut-on. agir avec compétence en étant isolé? La compétence individuelle peut-elle s’exercer sans s’articuler à une compétence collective? […] Ces questions sont à la fois des questions de fond et d'actualité. ’

La compétence est individuelle et sa construction singulière, mais elle s’articule dans la collectivité. Faire preuve de compétences demande d’organiser connaissances et savoir-faire pour obtenir un résultat, souvent en tenant compte des connaissances et des savoirs faire de ceux avec qui l’on travaille. L’acquisition de compétences réalise assez naturellement la recherche de sens au niveau individuel, et la collaboration qui conduit à mettre ce que l’on connaît en perspective avec les connaissances des autres.

Une compétence, par exemple « savoir résoudre un problème », ou « s’y connaître en résolution de problème » s’acquiert, bien sûr, en résolvant des problèmes, mais en regardant d’autres résoudre des problèmes, en faisant son « bout de chemin » personnel parce qu’on sait faire cette partie que l’autre ne sait pas faire. Ensuite, c’est lui qui vous montrera comment résoudre telle autre partie qui demande une habileté qu’on n’a pas. Les problèmes dont on parle sont plus difficiles que des problèmes que l’on peut résoudre seuls facilement. Il semble donc que la recherche de la compétence correspond bien à l’activité.

« S’y connaître en résolution de problème » n’est jamais achevé. On a toujours à apprendre dans ce domaine. Il est toujours un peu prétentieux de dire : « Moi, je m’y connais en résolution de problème ! ». Il suffit de trouver un problème qui ne se laisse pas faire pour que les limites soient atteintes, et que les contours de la résolution des problèmes s’éloignent au fur et à mesure que l’on avance. Les domaines dans lesquels on a des problèmes à résoudre sont innombrables. Le territoire exploré est toujours plus vaste, mais la partie qui reste à investir est toujours aussi grande. La production, les problèmes résolus, n’épuisent pas le sujet.

La compétence, qui consiste à savoir résoudre des problèmes, peut donc constituer un objet. Il en est de même pour toute compétence, à condition que l’on vérifie que la compétence que l’on choisit comme objet a les caractéristiques suivantes :

Les « compétences » nous semblent bien un choix possible comme objet. Du choix de cet objet, va découler la détermination de productions qui vont développer les compétences choisies, ainsi que les outils qui vont faciliter leur acquisition.

Notes
114.

LE BOTERF Guy , (2000,2001) ; Construire les compétences individuelles et collectives, Éditions d’Organisation, Paris, page 147: