3.2. Retour vers des aspects théoriques : la « double stimulation »

Or, nous avons trouvé dans une expérimentation de L. S. Sakharov 130 , citée par Vygotski, conçue pour définir un cadre permettant l’observation de la formation de concept. Sakharov appelle cette méthode « la double stimulation » parce qu’on présente aux élèves, en même temps, un ensemble d’objets et un mot. Les mots (comme Gazun dans l’expérimentation), n’avaient aucun sens pour les élèves, ni pour personne. Les élèves ont un problème à résoudre : ils ont, devant eux, des figures disparates (couleur, forme, épaisseur), et le problème est de les regrouper en lien avec les termes. Vygotski décrit la situation de cette façon :

‘On retourne devant le sujet l’une de ces figures au revers de laquelle il lit un mot dépourvu de sens. On l’invite à mettre dans un coin du tableau toutes les figures au revers desquelles il suppose qu’est écrit le même mot. Après chaque tentative du sujet pour résoudre le problème, l’expérimentateur vérifie en retournant la nouvelle figure, qui soit porte une dénomination identique à celle de la figure déjà retournée, différant d’elle par certaines caractéristiques et lui ressemblant par d’autres, soit est désignée par un autre signe mais là encore ressemble sous certains rapports à la figure déjà retournée et sous d’autres s’en distingue’ ‘Ainsi, après chaque nouvelle tentative, le nombre des figures retournées augmente et simultanément le nombre des mots dépourvus de sens qui les désignent, l’expérimentateur pouvant alors observer comment en fonction de ce facteur fondamental change le mode de résolution du problème qui, lui, reste le même à toutes les étapes de l’expérience. Un même mot est placé sur les figures qui se rapportent à un concept expérimental commun désigné par ce mot 131 .’

Après avoir souligné que la conceptualisation n’est pas envisageable avant l’adolescence, Vygotski insiste sur le rôle fondamental du mot ou du signe dans le processus.

‘L’élément central en est, comme le montre l’étude, l’utilisation fonctionnelle du signe, ou du mot, comme moyen permettant à l’adolescent de soumettre à son pouvoir ses propres opérations psychiques, de maîtriser le cours de ses propres processus psychiques et d’orienter leur activité vers la solution du problème auquel il est confronté.’ ‘La pensée se meut, dans la pyramide des concepts, vers le haut et vers le bas mais rarement à l’horizontale. […]. Au lieu de s’en tenir à l’ancienne conception du concept comme résultat d’un simple dégagement de traits semblables à partir d’une série d’objets concrets, les chercheurs se sont mis à considérer le processus de formation comme un processus complexe de mouvement de la pensée dans la pyramide des concepts, passant constamment du général au particulier et du particulier au général 132 . ’
Notes
130.

Sakharov, L. S. 1930: On the methods of investigating concepts. Psikhologija, 3, traduction publiée pour la première fois dans Soviet Psychology , Juillet/aout1990, Traduction : Michel Vale, 1990

Leonid Solomonovich Sakharov (1900-1928) a travaillé avec Vygotsky à l’Institut de Psychologie Expériementale

131.

VYGOTSKI Lev, op cité, page 204

132.

VYGOTSKI Lev, op cité, p 264