7.1. L’outil, objet issu d’un dialogue entre théoricien et praticien réflexif

L’outil réalise les conceptions de l’acquisition des compétences, des concepts, des connaissances et des savoirs que nous avons exposés dans les chapitres précédents. Ces conceptions reposent sur une réflexion théorique qui débouche sur des définitions dynamiques et descriptives. Cependant, cette réflexion est insuffisante pour déboucher sur la construction des outils. L’outil devrait aider les apprenants comme ils sont, et là où ils sont, c’est-à-dire avec leurs habitudes, leurs lacunes, leurs talents.

Les outils, en effet, doivent aider à résoudre un certain nombre de problèmes concrets : ceux que rencontre un élève particulier dans son apprentissage et ceux que rencontre un enseignant dans la gestion de sa classe. Ces problèmes dépendent de la situation particulière dans laquelle élèves et enseignants se trouvent. Ce sont des problèmes souvent mal définis, difficiles à décrire et à poser, et qui dépendent d’éléments particuliers et d’interprétations individuelles, peu stables et souvent imprécises. La phase de problématisation consiste à cerner ces problèmes, à les définir de façon à ce que l’analyse soit possible .

C’est là qu’interviennent les conceptions de l’enseignant, conceptions qui expriment une tentative de synthèse d’éléments contradictoires, à la fois théoriques, pratiques et subjectifs.

La construction d’un outil passe par un dialogue entre une théorie, une certaine idée du savoir, et une pratique. Il ne s’agit pas d’appliquer une théorie dans une pratique, mais d’instaurer un dialogue entre une réflexion sur une théorie à la lumière d’une pratique d’une part, et d’interroger les modes de réflexion qui animent le praticien au cours de sa pratique d’autre part

La construction d’un outil s’apparente à un « design 169  » : il s’agit de donner une traduction concrète à une réflexion dans le but de guider l’action. Au départ, nous avons un ou des problèmes à résoudre : gestion de la classe et apprentissage des élèves. Ces problèmes sont analysés, formulés, à partir d’un point de vue : pédagogie de l’activité, une théorie du savoir adaptée à cette pédagogie. Les problèmes sont situés dans un contexte : des élèves particuliers, dans une situation particulière. L’analyse des difficultés et des erreurs des élèves, et une recherche sur les moyens d’y remédier se situent dans ce contexte. Cette recherche consiste à identifier un phénomène à corriger, à formuler une question, et à tenter de donner une réponse qui va s’incarner dans le design de l’outil.

Le concepteur de l’outil n’est pas un technicien spécialisé, mais un praticien réflexif. Si le concepteur est aussi le praticien, des allers-retours vont le faire passer d’une observation réflexive de la pratique à une interrogation et une remise en cause de la théorie.

‘C’est ainsi [que le concepteur] modèle une situation en fonction de l’appréciation initiale qu’il a faite, que la situation lui renvoie la balle et qui lui en fait autant 170 .(Donald Schön, p 112)’

Si le concepteur et le praticien sont deux personnes différentes, un dialogue devrait s’instaurer. Le praticien ne peut fonctionner comme un simple usager des produits de la recherche. Il devrait révéler au chercheur les modes de pensées qui animent sa pratique, et aller chercher dans la recherche ce qui l’aidera à réfléchir en cours d’action. Comme le souligne Donald Schön, le chercheur réflexif ne peut se tenir à distance de la pratique expérimentale, et encore moins avoir un sentiment de supériorité par rapport à elle. Nous entrons dans un processus itératif d’ajustement progressif de l’outil.

Notes
169.

SCHÖN Donald A , (1994) Le Praticien Réflexif, Les Éditions logiques, Montréal, en particulier les chapitres 3, 6, et la troisième partie.

170.

SCHÖN Donald , 1993, Le praticien réflexif. À la recherche du savoir caché dans l'agir professionnel, Éditions Logiques, Montréal, p 112