2.1. Une configuration pour les groupes de travail

Les groupes de travail nous semblent devoir être assez petits pour que chacun puisse participer à la tâche qu’il doit accomplir. Cette tâche est double : résoudre conjointement un problème et que les membres du groupe à l’intérieur de la zone proximale de développement en tenant les rôles que nous venons de décrire. La taille optimale, dans le contexte où nous travaillons, nous semble devoir être comprise entre deux et quatre élèves. Ce nombre permet que chacun sache où en sont les autres, et que les échanges soient spontanés sans avoir à être artificiellement formalisés. On retrouve ce nombre chez des spécialistes de l’enseignement coopératif, comme les frères Johnson 177 qui définissent ainsi « l’interdépendance positive » :

‘Dans une situation d'apprentissage coopératif, l'élève a deux responsabilités:
- Comprendre le travail assigné;
- S'assurer que tous les membres du groupe le comprennent aussi.’ ‘Le terme technique pour cette double responsabilité est: interdépendance positive. L'interdépendance a lieu quand les élèves s'aperçoivent qu'ils sont liés à leurs coéquipiers; ils ne peuvent réussir à moins que leurs camarades réussissent (vice-versa) ; ils doivent coordonner leurs efforts à ceux de leurs coéquipiers pour terminer une tâche. L'interdépendance positive suscite la situation suivante:’ ‘Les élèves:’ ‘Voient que leurs travaux profitent à leurs coéquipiers et que les travaux de leurs coéquipiers leur sont profitables;’ ‘Travaillent ensemble en groupe restreints pour maximiser l'apprentissage de tous les membres du groupe en partageant les ressources, en se soutenant, en s'encourageant mutuellement et pour fêter les succès remportés. (page 107)’

Pour étayer leur propos, Roger T. et David W. Johnson montrent l’importance de « l’interdépendance positive » dans la réussite de l’apprentissage :

‘We have conducted a series of studies investigating the nature of positive interdependence and the relative power of the different types of positive interdependence (Hwong, Caswell, Johnson, & Johnson, 1993; Johnson, Johnson, Ortiz, & Starme, 1991; Johnson, Johnson, Stanne, & Garibaldi, 1990; Low, Mesch, Johnson, & Johnson, 1986a, 1986b; Mesch, Johnson, & Johnson, 1988; Mesch, Lew, Johnson, & Johnson, 1986). Our research indicates that positive interdependence provides the context within which promotive interaction takes place. Group membership and interpersonal interaction among students do not produce higher achievement unless positive interdependence is clearly structured. The combination of goal and reward interdependence increases achievement over goal interdependence alone and resource interdependence does not increase achievement unless goal interdependence is present also. 178

Le problème est donc de structurer cette « interdépendance positive ». Pour cela les frères Johnson proposent cinq stratégies :

« Positive Goal Interdependence » : le groupe est organisé en fonction d’un but commun qui doit être clairement énoncé et l’impression dominante doit être « qu’on réussit ou que l’on coule ensemble ». ’ ‘Students perceive that they can achieve their learning goals if’ and only if all the members of their group also attain their goals. The group is united around a common goal -- a concrete reason for being. To ensure that students believe they "sink or swim together" and care about how much each other learns, the teacher has to structure a clear group or mutual goal, such as "learn the assigned material and make sure that all members of the group learn the assigned material." The group goal always has to be a part of the lesson. 179 ’ ‘« Positive Reward -- Celebrate Interdependence » : il s’agit de « récompenser » la collaboration en en faisant un critère d’évaluation. Des points seront donnés en cas de progression globale de tous les membres du groupe. Ils ajoutent qu’il s’agit de « célébrer » les efforts du groupe pour leur coopération, et il semble que cela ait un effet positif sur la qualité de la coopération.’ ‘« Positive Resource Interdependence » Chaque membre du groupe n’a qu’une partie de l’information. C’est la technique du « puzzle » ((the Jigsaw procedure). Il faut bien que la communication s’installe pour que le travail se fasse.’ ‘« Positive Role Interdependence » Chaque membre joue un rôle précis : un lecteur, un vérificateur de la compréhension, etc.… Chaque rôle est choisi pour son importance dans l’apprentissage.’ ‘« Face-to-Face Promotive Interaction » Il s’agit de favoriser la responsabilité individuelle de chacun des acteurs du groupe, ce qui concrètement est favorisé si chacun se trouve en face de l’autre. Il est alors plus difficile d’échapper à sa responsabilité !’ ‘Cette responsabilité individuelle se manifeste par une aide efficace apportée à l’autre, un échange des ressources, un partage des réflexions personnelles. Il peut aussi y avoir une mise au défi entre les acteurs, mais dans une atmosphère où avant tout règne la confiance. Enfin, chacun a le souci d’atteindre les objectifs à la fois de production et d’apprentissage de tout le groupe.’

E. Cohen abonde dans le même sens.

‘Voici du point de vue éducatif, le modèle idéal d'interaction de groupe : c'est le groupe où, dans un ensemble de tâches, des élèves différents exercent leur influence selon leur habileté, leur intérêt et leur savoir-faire, selon la nature de la tâche et selon plusieurs autres facteurs accidentels 180

Elle définit le travail de groupe comme une situation :

‘ Où des élèves travaillent ensemble dans un groupe suffisamment petit pour que chacun puisse participer à la tâche qui lui a été clairement assignée. De plus, on s'attend à ce que les élèves exécutent leur tâche sans la supervision directe et immédiate de l'enseignant. 181

Elle introduit un autre élément, à nos yeux fondamental : la gestion du groupe est dévolue au groupe lui-même, et l’enseignant doit prendre le risque de ne pas exercer une supervision trop directe sur le groupe. Cela ne veut pas dire qu’il s’en désintéresse, ni qu’il ne se réserve pas le droit d’intervenir s’il constate des dérives. Mais l‘interdépendance positive ne peut se constituer si l’enseignant ne respecte pas cette auto organisation du groupe. Elisabeth Cohen précise plus loin que :

‘Si vous ne réussissez pas à déléguer l'autorité aux groupes, vos élèves seront privés des bénéfices de la coopération et vous vous rendrez compte que le travail de groupe est impossible à gérer. 182

Ceci ne veut pas dire qu’il n’y a pas de règles, mais ces règles portent sur la clarification des relations entre les composantes de l’activité, sur des règles de comportement social et s’attacheront à clarifier toute la structure.

Notes
177.

Les textes en français de Johnson et Johnson se trouvent dans : THOUSAND J.-S., VILLA R.-A., NEVIN A.-I., 1998, La créativité et l'apprentissage coopératif, Editions logiques, Montréal

178.

JOHNSON Roger T. et David W. (1994), An Overview Of Cooperative Learning ,in J. Thousand, A. Villa and A. Nevin (Eds), Creativity and Collaborative Learning; Brookes Press, Baltimore, Chapitre 18

179.

JOHNSON Roger T. et David W. ibid, Chapitre 18

180.

COHEN E.G. (trad.), 1994, Le travail de groupe: Stratégies d'enseignement pour la classe hétérogène, Chenelière, Montréal, p 37

181.

COHEN E.G. (trad.), 1994, ibid, Montréal, p 2

182.

COHEN E.G. (trad.), 1994, ibid, Montréal, p 105