Conclusion

1. La démarche suivie

Notre intention est de rendre intelligible la mise en place d’une pédagogie de l’activité.

Nous sommes partis d’un constat personnel : la difficulté, pour les enseignants que nous connaissons et pour nous-même, de concevoir et réaliser des intentions pédagogiques qui répondraient aux problèmes que nous rencontrons dans l’enseignement.

Dans un premier temps, nous avons proposé une analyse de « l’enseignement interactif », qui n’est, en fait, que le modèle d’enseignement le plus courant. L’enseignant, face à sa classe, interagit avec elle pour conduire l’apprentissage des élèves. La qualité de cet apprentissage dépend largement de cette interaction, qui, même si elle est préparée soigneusement, repose sur des capacités personnelles d’improvisation et de décision, indispensables pour maîtriser des situations souvent complexes, et insaisissables. Nous avons choisi de proposer une modélisation du processus de prise de décision de l’enseignant, à partir, en particulier, de la « gestion de plans » issue de l’intelligence artificielle. Cette modélisation, à la fois réductrice et éclairante, nous fournit un espace dans lequel nous pouvons interpréter les difficultés de réalisation d’intention pédagogiques nouvelles dans le cadre de l’enseignement interactif.

En particulier, la réalisation d’une intention pédagogique nouvelle se traduit par la création de nouveaux plans, processus long et difficile. D’autre part, dans cet espace, interviennent aussi les conceptions de l’enseignant, synthèses locales du contexte, d’interprétations théoriques, de principes et de croyances, qui portent et unifient le sens de son action. Les conceptions de l'enseignant peuvent sembler constituer un obstacle à l'évolution de l'enseignement. Elles constituent pour nous le creuset où se fondent des éléments contradictoires, théoriques, contextuels, personnels, pour que l’enseignant puisse agir avec cohérence. Elles semblent largement dépendre du contexte dans lequel il intervient. Changer ce contexte pourrait donc amorcer un processus d’évolution de ces conceptions qui pourrait déboucher sur des pratiques différentes.

Pour penser une alternative à l’enseignement interactif, il nous a semblé nécessaire de proposer un cadre théorique qui ouvre sur de nouvelles possibilités pédagogiques. Cet éloignement temporaire de la pratique nous donne la liberté de changer de point de vue. Mais c’est en retournant vers la pratique que ce point de vue peut, sans s’y noyer ou s’y perdre, s’articuler, se construire et s’exprimer.

Nous nous sommes tournés vers « la théorie de l’activité », telle qu’elle est formulée par Y. Engeström (Center for Activity Theory and Developmental Work Research , Université d’Helsinki), qui intègre les travaux de Vygotski, Leontiev, Luria.Il s’en dégage un modèle systémique qui intègre son objet et les moyens de sa réalisation. C’est ce modèle qu’on nomme « activité ». Leontiev a montré qu’une analyse de « l’activité humaine » n’était significative que si elle se déroulait dans un environnement offrant un minimum de richesses quant aux échanges humains, aux ressources matérielles, à ses mobiles. Quand elle est morcelée, l’activité humaine perd son sens et sa dynamique intrinsèque. Or, apprendre est une activité humaine, elle devrait pouvoir être analysée à partir des mêmes critères. Mais les conditions dans lesquelles se déroule l’enseignement interactif sont loin de répondre à ces critères. Il nous semblait donc que la théorie de l’activité pouvait offrir des possibilités d’enrichissement du cadre pédagogique. Encore fallait-il introduire les conditions de l’apprentissage dans cette théorie de l’activité humaine. Une « pédagogie de l’activité » doit donc définir des concepts qui lui sont propres.

Les éléments théoriques ne sont pas prescriptifs au niveau de la pratique, mais ils permettent de construire une réponse à une situation concrète, et souvent floue. Nous avons tenté de montrer comment peuvent s’élaborer des conceptions, les nôtres en l’occurrence, qui conduisent à élaborer des outils, des règles, et une organisation pédagogique, en tentant de réduire l’écart entre ce qui est attendu et ce qui est observé.

Les conceptions de l’enseignant constituent pour lui « sa théorie » construite pour permettre d’agir avec cohérence dans un contexte particulier. Cette théorie risque d’être locale, et de ne pouvoir concerner que lui.

Mais, ici, notre projet s’écarte de celui de l’enseignant. Nous ne nous sommes pas seulement intéressés aux résultats obtenus, mais surtout aux conditions de leur émergence. Les conditions d’émergence de connaissances, de concepts sont formulées dans ce que nous croyons être un ensemble organisé d’éléments théoriques qui donnent un sens à l’action. Mais cet ensemble théorique n’est pas seulement conçu pour justifier l’action. Il a sa cohérence, toujours mise en référence avec une pratique qui oblige à le compléter et l’organiser. Comme il est tourné vers l’action, les définitions proposées sont dynamiques et descriptives. C’est par un processus itératif, dans un va-et-vient entre pratique et éléments théoriques, que ceux-ci se précisent, tout en gardant leur cohérence et en créant une distance qui offre un espace à la pensée. C’est, du moins, ce que nous avons tenté de faire. C’est cet ensemble organisé d’éléments théoriques qui, éventuellement, peut constituer un apport et être transmis. Il ne serait pas transmis pour être appliqué, au sens que l’on donne à un exercice d’application, mais pour ouvrir vers d’autres espaces, auxquels le praticien, trop pris par l’action, ne songe habituellement pas. Il pourrait ainsi rendre la pratique plus adaptable, en lui donnant les moyens de trouver des solutions à des situations nouvelles, en rupture avec l’habitude et le convenu.

Le résultat est une réalisation d’une pédagogie de l’activité. Avons-nous fait ce que nous prétendons faire ? La pédagogie mise en place se démarque-t-elle d’un enseignement interactif, et possède-t-elle les caractéristiques d’une pédagogie de l’activité ? Pour cela nous avons interrogé les élèves, non pas pour savoir s’ils sont ou non satisfaits, mais pour déterminer s’ils sont conscients des conditions de leur apprentissage et si ces conditions correspondent à celles que nous attendions dans une pédagogie de l’activité.