2.1. Les composantes d’une pédagogie de l’activité

Nous allons décrire rapidement le rôle de chaque composante.

  • Enseignant

Le fait que l’enseignant soit placé au sommet de la représentation proposée ne signifie pas que son rôle essentiel soit le contrôle et la supervision.

L’enseignant joue principalement trois rôles.

  • Pour préparer l’activité, celui de concepteur : l’enseignant conçoit et dispose les constituants représentés dans le plan. Son rôle est de concevoir chaque élément, mais aussi d’envisager les liens entre les quinze couples du triangle : par exemple entre les outils et les compétences, les compétences et la mutualisation des moyens, etc.
  • Pendant le déroulement de l’activité, celui de médiateur : il joue le rôle de médiation entre l’élève et les cinq autres composants du triangle. (Élève ; Compétence), (Élève ; Outils) , ( Élève ; Règles) , ( Élève ; groupes de travail) , ( Élève ; Mutualisation des moyens).
  • Pendant et après le déroulement de l’activité, il peut devenir un « praticien réflexif », en observant le déroulement de l’activité. Il peut en effet ne plus intervenir et décider d’observer. Ensuite il peut modifier la structure de l’activité pour tenir compte des observations qu’il a pu faire.

Les médiations effectuées par l’enseignant se font au niveau individuel, plus souvent au niveau du groupe de travail, et quelquefois au niveau du groupe complet. Il peut aussi se transformer en enseignant interactif, mais ce rôle reste marginal dans la durée.

Alors que le rôle de l’enseignant interactif est essentiel pendant le déroulement de la classe, le rôle de l’enseignant dans une pédagogie de l’activité est particulièrement important en amont. Il peut prendre le temps d’envisager les difficultés des élèves et leur proposer des actions appropriées. Il peut moduler ses interventions pendant la classe, pouvant décider de se consacrer pendant dix minutes à un élève, ou encore se mettre en retrait pour observer le comportement des élèves.

  • Groupes de travail

C’est l’équivalent de «la communauté » dans le triangle d’Engeström. Les groupes de travail sont :

  • Les petits groupes de travail (deux ou trois élèves) qui forment la cellule de base de la structure d’une pédagogie de l’activité.
  • Les groupes constitués en « aide individualisée »
  • Les groupes constitués en modules.
  • Le groupe classe

Le travail en petits groupes hétérogènes, autonomes, constitue la cellule de base de l’organisation sociale de la classe. Cette organisation fonctionne pendant au moins les trois quarts du temps imparti au cours traditionnel, et ce pendant toute l’année. De ce point de vue, nous avons largement substitué, à l’organisation de la classe autour d’un enseignement interactif, une autre structure qui n’est plus seulement dépendante de l’improvisation créatrice de l’enseignant.

Les groupes constitués en aide individualisée sont variables, et permettent de résoudre des problèmes particuliers.

En modules, les groupes peuvent êtres modifiés selon les besoins, d’une semaine sur l’autre. Cette possibilité reste théorique, et dans notre expérimentation, ils sont restés les mêmes. Ils permettent de travailler avec d’autres élèves que les coéquipiers habituels.

Le groupe classe est constitué de la classe entière fonctionnant de façon plus ou moins traditionnelle.

  • Diversification des rôles

La diversification des rôles correspond à la division du travail dans le triangle d’Engeström. Les enseignants ont l’habitude de jouer des rôles différents face aux élèves : ils expliquent, jouent la comédie, montrent, etc. C’est par la multiplication de ces rôles que l’enseignant, en particulier dans le cadre de l’enseignement interactif, parvient à aider des élèves aux profils différents.

Dans une pédagogie de l’activité, ces rôles, qui constituent autant de médiations, sont aussi tenus par les élèves. Mais, si les élèves jouent des rôles différents les uns pour les autres, c’est qu’ils ont des démarches et des points de vue différents sur ce qu’ils font et la manière de le faire. Il n’y aura médiation que si chaque élève peut prendre conscience de la spécificité de son point de vue et s’il désire le partager avec les autres. Ce sont les deux conditions nécessaires à la diversification des rôles.

La production à réaliser peut être envisagée de façon particulière par chacun d’eux. Les outils conduisent aussi à une différenciation. Ils servent de base aux discussions du groupe et favorisent cette prise de conscience. Leur utilisation conduit à envisager les connaissances et les stratégies d’une façon personnelle.

La multiplication des approches possibles au sein du groupe permet à chaque élève de se différencier par rapport aux autres membres du groupe restreint dan lequel il se trouve. Il peut alors jouer un rôle particulier par rapport aux autres, en posant des questions et en faisant partager ses connaissances, ses points de vue, ses stratégies, ses analyses et ses talents particuliers. De cette façon, chaque membre du groupe finira par résoudre complètement les problèmes proposés et acquérir un ensemble complet de connaissances.

Cette mise en commun peut se faire naturellement dans les petits groupes de travail, mais aussi dans les autres groupes, comme en dehors de la classe.

Chaque rôle correspond bien à une action au sens de Leontiev, dans la mesure où elle a un objectif précis et que l’ensemble de ces rôles permet d’augmenter la compétence de chacun. Le travail, dans une pédagogie de l’activité, conduit à acquérir une compétence en réalisant certaines productions. Les rôles multiples que jouent tous les autres élèves et l’enseignant auprès de chaque élève le rapprochent donc de l’objet de l’activité. Ces rôles constituent une médiation entre le groupe et l’objet et ils correspondent à des actions. Or, la division du travail consiste à mener des actions dont l’ensemble permet d’atteindre l’objet de l’activité. C’est bien ce que permet aussi la diversification des rôles.

L’expérimentation a montré que certains de ces rôles semblaient apparaître de façon assez spontanée en raison de la structure mise en place. Nous devrons considérer cette question d’une façon plus spécifique que nous l’avons fait dans cette recherche. Nous devrons concevoir des outils particuliers favorisant la différenciation des rôles, évaluer leur impact et l’évolution des rôles dans le groupe.

  • Règles

Les règles jouent un rôle de médiation entre l’élève et l’ensemble des groupes de travail, y compris la classe. Ce sont des règles gérant les comportements et les relations aux individus et aux divers groupes.

Les règles rendent aussi la structure générale de l’activité transparente. Elles clarifient les buts poursuivis par l’activité et le processus d’apprentissage correspondant. Elles sont d’abord rédigées par l’enseignant, et pourront être modifiées, et de plus en plus déterminées par les élèves, ce qui correspond à un début de prise en main sur leur environnement d’apprentissage. On retrouve là l’expansion 204 dont parle Engeström.

Les règles établissent et clarifient le contrat pédagogique entre les élèves et l’enseignant.

  • Outils

Les outils :

  • Aident à faire un certain travail visant une production ;
  • Mettent en œuvre la démarche correspondant aux compétences visées, nécessaires à l’exécution de ce travail ;
  • Aident à franchir des obstacles en favorisant, à cette occasion, l’acquisition de connaissances nouvelles ;
  • Offrent un ensemble de ressources et aident à trouver celles qui sont nécessaires au travail à accomplir. Les ressources sont des connaissances, des travaux antérieurs, des liens ;
  • Les outils favorisent la mise en réseau des connaissances, et par conséquent l’élaboration du sens ;
  • Les outils favorisent l’échange.

À côté des outils, on trouve des supports, ensemble structuré de textes, de problèmes ou de tout autre matériel nécessaire à l’appropriation des outils, et ainsi de leur transformation en instrument. Les supports participent aussi à la définition de la production à réaliser.

Les outils peuvent être adaptés, ou même entièrement réalisés par les élèves.

Le processus de construction des outils ne consiste pas à appliquer une théorie ou des conceptions, mais il s’élabore en tenant compte des cinq éléments : la réflexion théorique, l’observation des difficultés et des réussites, l’expérimentation, la confrontation des conceptions, et la problématisation de la situation d’apprentissage. Nous avons donné une représentation circulaire pour indiquer que l’on peut entrer dans ce cercle par l’une de ces cinq portes. Il n’y a pas d’ordre de succession, mais chaque changement dans l’un des cinq éléments entraîne une évolution des autres. Un outil exprime un équilibre provisoire entre ces cinq éléments. La difficulté, et la nécessité, consiste à mettre en relation chacun des cinq éléments avec tous les autres.

  • Compétences

Les compétences sont l’objet de l’activité : une activité vise à l’appropriation plus ou moins complète de compétences qui permettent la production. La détermination de la compétence a un effet structurant sur l’activité. C’est aussi pour devenir compétent que l’élève acquiert de nouvelles connaissances, et réorganise celles qu’il possède déjà. Mais cette compétence n’est que le moyen de réaliser la production.

Les compétences ne sont pas définies à priori, comme on peut les trouver dans des « listes de compétences à atteindre à la fin du cours » dans certains programmes. Elles sont définies à partir de la production à réaliser, en tenant compte de cette production et des élèves qui vont devoir la réaliser. Elle n’a pas de sens en dehors de ces deux éléments du contexte.

  • Production

La production est le moteur concret et occasionnel de l’activité. Les élèves travaillent pour réaliser ce qu’ils ont à faire. Cependant le résultat de l’activité n’est pas la production, mais les progrès dans l’acquisition d’une compétence qui structure et donne un sens à des connaissances.

La production doit donc être motivante : ce n’est pas un exercice d’application, c’est un « problème » à résoudre, dans la mesure qui exige l’élaboration d’une ligne d’action pour en venir à bout. C’est donc un « gros » problème, qui demande de se mettre à plusieurs, qui fait appel à des ressources diverses qu’il faut organiser. Dans ce sens, il peut aussi être qualifié de projet. Des exercices peuvent être proposés, mais leur fonction est autant de favoriser l’acquisition d’une technique que de s’exercer à l’utilisation d’outils qui, par là même, tendent à devenir des instruments.

Notes
204.

ENGESTRÖM Y. (1987) Learning by Expanding an activity-theoretical approach to developmenta research, Helsinki