4.3. Quelles sont les questions que l’on peut se poser à partir d’une pédagogie de l’activité ?

Nous avons recueilli un certain nombre d’observations rapportées dans le chapitre que nous avons consacré à l’évaluation. Ces faits concernent simplement la « faisabilité » d’une pédagogie de l’activité, telle que nous l’avons définie. Nous avons vu que le dynamisme de la classe semble reposer sur la structure que nous avons décrite, et qu’à l’intérieur de cette structure, les élèves travaillent et aiment ce qu’ils font. Mais il faudrait maintenant :

• Établir ce qu’ils apprennent, et en quoi les connaissances ont un sens pour eux. Ces connaissances sont-elles plus facilement applicables ?
• Un des fondements de la pédagogie de l’activité concerne l’aspect social : travail en groupe, diversification des rôles, mutualisation des connaissances, rôle des outils dans la communication. Ce sont autant de questions qui demandent encore une étude précise.
• Nous avons pensé que l’acquisition des concepts et des savoirs se fait plus facilement quand les rapports sociaux sont plus riches. Cette hypothèse demanderait à être vérifiée.
• Nous avons observé qu’il s’effectue bien un travail en groupe, et que ce travail est à la fois un facteur du dynamisme de l’activité, mais aussi une façon de résoudre les difficultés engendrées par l’hétérogénéité des classes. Il nous semble même que l’hétérogénéité soit un facteur du dynamisme de la classe. Mais tout cela devrait être étudié avec précision. En particulier, nous avons observé certains cas où des élèves, plus rapides et plus exigeants, ont besoin de se retrouver entre eux. Mais ce n’est pas vrai de tous.
• Nous avons travaillé en parallèle en mathématiques et en français. Nous avions considéré qu’un changement important ne peut avoir lieu que dans plusieurs disciplines, sinon les élèves ont tendance à le percevoir comme une lubie d’un enseignant particulier. Il y a là un objet d’étude, relié aux modalités du changement dans les pratiques enseignantes. Quelles sont les conséquences de la coexistence de deux paradigmes pour les élèves et les enseignants ?
• Nous avons aussi abordé la question du transfert. Elle est même à l’origine de notre questionnement initial. Nous ne l’avons pas traitée spécifiquement. Cependant, nous avons défini un cadre où la question pourrait être posée en des termes nouveaux : les outils mettent en œuvre des compétences, qui peuvent être analogues dans des disciplines différentes, et être élaborées simultanément, et en conscience. Les outils eux-mêmes peuvent être construits par les élèves. Est-ce que cela favorise l’acquisition de compétences et dans quelle mesure cela favorise la construction de compétences analogues dans d’autres domaines ? C’est encore une recherche qu’il faudrait entreprendre.
• La structuration de l’activité par l’enseignant pose encore de nombreuses questions. Nous avons donné des pistes, mais ce ne sont que des pistes. Ce qui importe pour l’enseignant, c’est une pratique en accord avec ses conceptions. Ce qui importe pour le chercheur, c’est la conceptualisation des conditions d’émergence de cette pratique. Trois conditions nous semblent nécessaires pour qu’un enseignant s’investisse dans une nouvelle forme de pédagogie : de nouvelles perspectives concrètes s’ouvrent à la pratique, des éléments théoriques suggèrent et donnent du sens à de nouvelles façons d’agir, les conceptions des enseignants incorporent les deux pour se lancer dans une réalisation concrète. Le dynamisme se trouve dans la tension entre les conceptions et la réalisation. Si l’un des deux termes se fige, l’ensemble se bloque.
• Notre expérience nous conduit à penser que ce travail est lourd pour un enseignant seul, et même pour deux enseignants d’un lycée. Il reste à mettre en place un environnement pour les enseignants, qui rendrait possible la réflexion et la pratique. Quels sont les outils qu’il faudrait mettre à leur disposition, où qu’ils devraient construire ? Certains de ces outils ont une composante théorique très forte. Par exemple, nous avons amorcé une certaine conception de l’acquisition des connaissances dans un contexte d’action. Il ne s’agit que d’une amorce, et ce travail pourrait être conduit dans une « communauté » dont il faudrait définir la nature, les moyens de communication et d’échange. La structuration d’une activité doit devenir un travail cumulable, permettant à d’autres enseignants de ne pas repartir de zéro, comme c’est un peu le cas actuellement, où chacun semble quitter son métier sans pouvoir transmettre ce qui ne reste qu’une expérience personnelle.
• Ce qui fait le paradigme, c’est aussi l’adhésion. Comme le dit Kuhn, l’adhésion à un paradigme est un problème sociologique, et une seule personne ne peut définir un paradigme. Il y a paradigme si une communauté de pensée, de méthodes et d’objectifs, autour d’outils communs, peut se créer et a matière à observer, à se poser des questions, à dégager des méthodes et à interpréter les résultats de recherches scientifiques. Pour notre part, il nous semble que les faits observés, les questions soulevées, et les indications méthodologiques proposées, suggèrent la possibilité d’émergence d’un autre paradigme que celui de l’enseignement interactif, si l’on s’en remet à la définition de Kuhn. Mais cela à la condition qu’un travail de recherche, dont nous avons donné quelques éléments, puisse s’accomplir.