I.1. L’enseignement traditionnel

La méthodologie dite traditionnelle existe depuis l’Antiquité et elle est fondée sur une relation pédagogique forte : le rôle du maître y est central. Elle donne un modèle de compétence linguistique à imiter. Savoir une langue étrangère, c’est plus ou moins connaître le système à l’égal du maître. Comme l’approche vise la maîtrise du code, c’est le vocabulaire et la grammaire qui représentent les objectifs immédiats : liste de mots, avec d’éventuels regroupements thématiques, règles de grammaire prescriptives insistant sur une norme. Peu ou prou, l’étude du Latin, tel qu’il s’est déroulé du 17è siècle au 19è siècle, en Europe, avec sa grammaire et sa rhétorique, constitue le moule de toutes les méthodes traditionnelles d’enseignement des langues en milieu institutionnel.

Dans l’enseignement du FLE en Chine, on a donc vu mettre en œuvre la méthode grammaire-traduction. L’enseignant, détenteur du savoir, domine toutes les activités didactiques en classe. Le texte en langue étrangère figurant dans le manuel est coupé en morceaux et est traduit mot à mot dans la langue maternelle de l’apprenant. Au cours de cette activité didactique, on procède à l’étude théorique de la grammaire. La version, en tant qu’exercice, est considérée comme indispensable dans l’enseignement de la langue. Toute unité d’enseignement est construite autour de points de grammaire, illustrés par le texte en langue cible. Cette méthode met l’accent sur le maître, qui a une grande autorité en classe. Il pose des questions aux apprenants à tour de rôle, organise les activités pédagogiques, explique les règles de grammaire et fait réaliser aux étudiants des exercices sous sa direction. L’interaction n’est pas fréquente, et en sens unique, en raison de la place sociale et scolaire de l’enseignant. Il est à noter que l’efficacité de cette méthode n’est pas très claire, parce que la bonne compréhension de la grammaire ne signifie pas une bonne compréhension orale ou écrite, parce que les phrases proposées dans la traduction sont le plus souvent des phrases artificielles, loin de la communication réelle.

L’enseignement traditionnel des langues étrangères en Chine possède deux caractéristiques principales : la centration sur l’enseignant et encore plus sur le manuel, et la préparation à l’examen.

Le problème de la centration sur l’enseignant et les manuels plutôt que sur les apprenants est discuté depuis longtemps dans les milieux pédagogiques chinois. Ce modèle représente typiquement un enseignement traditionnel prodigué par des enseignants qui pensent majoritairement que leur rôle est décisif dans l’enseignement et que les apprenants ne peuvent apprendre sans eux.

L’enseignement centré sur l’enseignant remonte à très loin dans l’histoire chinoise en raison de l’influence du confucianisme. Le maître est considéré comme unique détenteur du savoir et les élèves ne peuvent que l’écouter et apprendre ce qu’il dit. Le savoir est transmis soit par écrit, au tableau noir, soit de vive voix. De plus, dans la société féodale chinoise qui a duré plus de deux mille ans, l’éducation et l’enseignement ainsi que l’examen impérial étaient mis au service de la classe dominante car celle-ci sélectionnait ses fonctionnaires parmi les candidats d’élite.

Dans ce système d’éducation et d’enseignement, les élèves se contentaient seulement d’acquérir les connaissances données par leur maître afin de pouvoir réussir l’examen et devenir haut fonctionnaire. Cet enseignement n’encourageait pas les élèves à découvrir par eux-mêmes et à travailler de façon créative. C’est ainsi que le maître occupait une place tellement importante dans la société qu’on lui manifestait un grand respect. Souvent, les élèves le considéraient comme leur père et lui obéissaient en toutes choses. Un vieux dicton chinois dit: « un maître qui a enseigné un jour à ses élèves est considéré par eux comme leur père pour toujours. » Aujourd’hui, on répète souvent, surtout au lycée où les élèves préparent le concours national pour entrer à l’université : « un bon élève dépend d’un bon maître. » Jusqu’à la fin de la dynastie des Qing (1644-1911), les écoles étaient considérées comme l’endroit où le pouvoir formait ses fonctionnaires.

Sur le plan de l’enseignement des langues étrangères en cadre institutionnel, la focalisation sur le contenu cache souvent des problèmes de communication et de motivation individuelle dans le processus d’apprentissage. A vrai dire, l’enseignement traditionnel des langues étrangères en Chine se centrait sur le professeur qui accordait une grande attention au manuel, dans lequel la connaissance linguistique était considérée comme prépondérante dans l’apprentissage. Par exemple, pour le FLE, la grammaire est considérée comme la connaissance la plus importante dans tous les manuels rédigés par des experts chinois de français.

A l’université, en Chine, la grammaire occupe une place très importante dans l’enseignement / apprentissage du FLE. Cette tradition s’observe très fréquemment dans les grandes écoles. Par exemple, la connaissance linguistique représente au moins 80% des connaissances d’un examen semestriel pour une évaluation sommative. Elle est présente aussi, mais de façon moins forte et différente, dans la classe de FLE hors système scolaire, par exemple dans une classe prise en charge par un enseignant chinois à l’Alliance française de Pékin.

La pédagogie traditionnelle du FLE en Chine détermine la structure du manuel de français dans les universités où le français est enseigné comme première langue étrangère pour les étudiants des départements de langue et de littérature française. L’enseignement du français première langue étrangère comprend des cours de grammaire et des lectures de textes auxquels s’ajoutent des cours de conversation, d’entraînement écrit, d’audition et de civilisation. Mais l’enseignement du FLE est en général réduit à un cours de grammaire parce que de nombreux exercices de grammaire sont proposés dans chaque leçon et réalisés sous la direction de l’enseignant. L’enseignant dirige la classe de langue où les rapports sont strictement hiérarchisés entre l’enseignant qui sait et les élèves qui ne savent pas encore. L’enseignant centralise et contrôle les exercices, tout passe par lui, puisque tout part de lui et que tout lui revient. Il est le passage obligé d’un circuit qui fonctionne verticalement et à sens unique. Dans ce circuit, celui qui sait questionne ceux qui ne savent pas.

Dans l’enseignement / apprentissage du français en Chine, les manuels de FLE semblent le seul et unique outil d’enseignement pour un grand nombre d’enseignants des universités. Le cours traditionnel de FLE est de type grammaire-traduction. Les enseignants se contentent alors de donner des explications grammaticales et d’assurer la compréhension des textes en faisant travailler les apprenants sur des exercices d’application en cours. A la fin de chaque cours, ils indiquent la partie qu’ils vont traiter au cours suivant pour que les apprenants puissent la préparer après la classe.

L’enseignement traditionnel en Chine est également illustré dans la préparation des examens, surtout à l’écrit. L’apprenant chinois n’est pas habitué à découvrir des notions, à les organiser et à les conceptualiser. Il attend de l’enseignant des règles simples et logiques qu’il pourra appliquer ensuite. En général, l’enseignant explique la règle, montre comment l’appliquer et le travail des apprenants consiste à se familiariser avec ces données nouvelles, les apprendre et s’entraîner à les appliquer. Ce modèle d’enseignement attire l’attention des apprenants sur la connaissance linguistique qui constitue la partie principale de l’examen écrit. Dans l’université et au lycée, la grammaire occupe une place considérable à l’examen de langue étrangère tant pour l’examen universitaire destiné aux étudiants que pour l’examen national destiné aux lycéens voulant poursuivre des études supérieures.

Il nous faut reconnaître que pour les apprenants chinois, la compétence linguistique est plus élevée que la compétence communicative. Ils sont forts à l’écrit et très faible à l’oral. Ainsi, nombre d’apprenants obtiennent une bonne note à l’examen écrit et une mauvaise note à l’oral. L’effet le plus négatif de cet enseignement traditionnel, qui est tout autant enseignement qu’apprentissage, est le blocage à l’oral des apprenants chinois. La passivité observée dans les comportements oraux en français des jeunes étudiants Chinois a pour origine la centration sur l’enseignant et sur la connaissance linguistique.