II.2.2. Le contrat de communication

Le terme de contrat de communication est employé souvent dans la recherche linguistique et sémiotique par des linguistes, sémioticiens, psychologues du langage et analystes du discours pour désigner le fait qu’un acte de communication se fait en suivant les règles de la communication. C’est la condition pour que les partenaires d’un acte de langage se comprennent et puissent interagir en co-construisant, c’est le but essentiel de tout acte de communication. Ce type de contrat suppose l’existence de deux sujets parlant en relation d’intersubjectivité.

Dans son analyse du discours, P. Charadeau en fait un concept central définissant le contrat de communication comme l’ensemble des conditions dans lesquelles se réalise tout acte de communication (quelle que soit sa forme orale, écrite, monolocutive ou interlocutive). Il est ce qui permet aux partenaires d’un échange langagier de se reconnaître l’un l’autre grâce aux traits identiques qui les définissent en tant que sujets de cet acte (identité), de reconnaître les visées de l’acte qui les surdétermine (finalité), de s’entendre sur ce qui constitue l’objet thématique de l’échange (propos) et de considérer la pertinence des contraintes matérielles qui déterminent cet acte (circonstance).

Ainsi, à l’intérieur du contrat de communication et en déterminant dans le contenu, la forme et les circonstances, nous trouvons, au sein même des activités interactionnelles en classe de langue étrangère entre l’enseignant et les apprenants, le contrat pédagogique et le contrat didactique.

De toute évidence, la prise de parole n’est pas l’expression d’une forme sémiotique abstraite, elle constitue l’activité particulière, qui contraint la prise de parole et lui octroie le sens dans la communication. Pour réaliser cette communication, tout sujet parlant doit respecter les règles d’enjeux verbaux au niveau linguistique et au niveau culturel ; dans le cas contraire, elle devient impossible. La communication reflète ainsi une relation entre l’individu et la collectivité, et aussi une relation culturelle et interculturelle si elle se déroule entre natif et non natif.Parler, c’est signifier quelque chose à quelqu’un. Le sens est conventionnel. La parole est partagée en commun, elle est symbolisation de tout propos. La communauté implique le dialogue, c’est-à-dire un tour de parole, et un accord préalable sur ce tour ; cette convenance suppose aussi le respect d’un minimum de règles, par exemple, qu’une même personne au même moment ne puisse affirmer une chose et son contraire. Autre exemple, on est censé, durant la même séquence de discussion, parler de la même chose, à partir d’une même langue. Tout cela signifie l’existence d’un accord linguistique et de règles d’enjeux dans la communication. On peut les appeler ici contrat de communication.

D’après le dictionnaire de la linguistique et des sciences du langage, « La communication est l’échange verbal entre un sujet parlant, qui produit un énoncé destiné à un autre sujet parlant, et un interlocuteur dont il sollicite l’écoute et / ou une réponse explicite ou implicite (selon le type d’énoncé) » (J. Dubois, M. Giacomo, L. Guespin, C. Marcellesi1994 :94).

Quatre facteurs importants de toute communication doivent être définis :

Tout échange verbal se réalise donc dans le cadre d’une co-intentionnalité. Cette reconnaissance réciproque des contraintes de la situation de la communication par les partenaires fait dire que les échanges verbaux sont régis par un contrat de communication. P. Charaudeau (1995 :88-89) souligne aussi que « la notion de contrat de communication est double dans la mesure où elle est à la fois de nature situationnelle et communicationnelle ». 6 D’après lui, le niveau situationnel met en place un contrat d’échange qui se définit par des contraintes et par une (ou des) finalité(s) interactionnelle(s) qui répond aux questions suivantes : Nous sommes là pour dire quoi ? Pour échanger quoi ? Pour jouer quel rôle social en fonction de quelles contraintes ?  Le niveau de communication établit un contrat de parole qui se définit selon la façon avec laquelle doit se dérouler l’échange langagier, le comment dire.

Ainsi, c’est la prise en compte de ce contrat implicite ou explicite qui conditionne la forme d’échange, qui détermine ce qui doit être dit et comment on le dit, comment doit s’organiser l’interaction verbale. Il est impossible à un Français de comprendre que l’énoncé d’un Chinois qui le rencontre au moment du repas: « As-tu mangé? » est une salutation. Mais pour une américaine, si sa réponse est négative, cette salutation a reçu la réponse: « Tu veux m’inviter ? »

En réalité, la notion de contrat n’est pas inconnue pour nous qui vivons dans une société législative parce que la notion de contrat apparaît presque dans tous les domaines d’activité de la vie sociale de tous les jours : sur le plan économique ainsi que sur le plan politique, de la culture, du sport… du niveau intergouvernemental, régional jusqu’aux petits groupes. Il semble que là où existent des relations au moins bilatérales, il existe aussi des contrats sous forme officielle ou non officielle, orale ou écrite, explicite ou implicite. Grâce au contrat, nous ne rencontrons pas de conflits dans la vie quotidienne. Nous pouvons dire que toutes nos activités se cadrent explicitement ou implicitement dans des contrats.

Nous entendons par contrat « une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou ne pas faire quelque chose » (le Petit Robert 1994 : 1618). Par exemple, vous serez invité à payer une amende si vous ne faites pas la validation de votre abonnement de Técély au moment du contrôle, car votre activité a trahi le contrat que vous avez accepté au moment de payer l’abonnement.

En réalité, le contrat existe de tout temps et dans toute société. Bien qu’il puisse apparaître tacitement ou explicitement, officiellement ou non officiellement, il est observable. Ainsi, il n’y a pas de communication sans contrat, la notion de contrat est d’ordre situationnel et communicationnel. Sur le plan situationnel, un contrat d’échange s’établit sur la base des contraintes.

Il nous faut reconnaître que le contrat de communication n’est pas le même que le contrat des activités sociales. Le dernier, plus concret, est assuré législativement par les organismes administratifs ou législatifs. Et le premier, plus abstrait, est assuré par les règles de rituels linguistiques et culturels. Nous pouvons changer et corriger le contenu du contrat des activités sociales selon le besoin de deux partenaires concernés par le contrat. En revanche, pour le contrat de communication, personne ne peut y apporter ni changement, ni correction. Ce que nous pouvons faire dans ce contrat, c’est respecter absolument, que vous soyez natif ou non natif. Pour argumenter la différence entre ces deux types de contrats, je voudrais citer l’exemple issu de la thèse de Nguyen Kim Oanh soutenu en 2000 à l’Université de Rouen « Contrat didactique et discours professoral en classe de langue et en français au collège vietnamien ».

« A partir d’exemples, nous examinons le fonctionnement d’un contrat de communication entre un vendeur et sa clientèle. Il s’agit plutôt d’un contrat entre l’offre et la demande. En général, le vendeur a envie de se débarrasser de ses marchandises le plus vite possible. Quand quelqu’un entre dans son magasin, il n’hésite pas à s’approcher de lui, à lui présenter ses articles en souriant, il est prêt à satisfaire volontiers la curiosité de son client sur le prix, la qualité ou l’origine de tel ou tel article en vue d’inciter à consommer. Autrement dit, il cherche à persuader son client par ses stratégies de communication dans l’intention de faire consommer des marchandises. Le client sait bien qu’il a le droit d’être informé et il n’hésite pas à poser des questions au vendeur sur ce qu’il a besoin de connaître. Si le vendeur ne le satisfait pas, il s’en va, une rupture de contrat apparaît. C’est une des conventions implicites du domaine commercial : ce n’est pas une convention juridique officielle, car elle n’est ni écrite ni signée, ni jugée par la loi ou la société, mais il est évident que si le vendeur n’obéit pas à cette convention tacite (il ne satisfait pas son client), il ne peut pas atteindre son but : vendre ses marchandises. » Dans cet exemple, nous remarquons que durant cet échange verbal manifestant les interactions fonctionnelles, chaque partenaire accomplit sa fonction. Dans la vie quotidienne, nous communiquons tous les jours dans le contrat de communication, lequel ritualise notre acte de langage pour assurer la réussite de notre communication. Dans ce contrat de communication, les partenaires, locuteur et interlocuteur doivent prendre interactionnellement la responsabilité tout en respectant la norme de leur acte de langage en fonction du rituel langagier, respectivement la culture sociale et les relations interpersonnelles, sinon le malentendu ou la bêtise apparaissent dans la communication.

Nous allons maintenant raconter une histoire réelle pour soutenir notre point de vue sur la norme de l’acte langagier existant dans le contrat de communication en France. Un jeune Chinois, stagiaire en linguistique, se trouve avec un lyonnais dans le tramway T1 au terminus Perrache. Dès l’arrêt complet du tramway, la portière s’ouvre. Le Lyonnais, plus âgé en apparence que le stagiaire, le prie de descendre de la voiture devant lui, en signe de politesse. Avec la même intention, le jeune stagiaire prie ce Lyonnais de passer avant lui, en lui donnant l’expression suivante : « Vous êtes plus âgé que moi.». Avant de se quitter, le Lyonnais dit au stagiaire : « On dit ça, rarement. ». Le stagiaire n’a pas suivi le contrat de communication à la française, mais celui à la chinoise alors qu’il voulait manifester de la politesse. En Chine, les personnes âgées sont toujours respectées. N’importe où, on fait d’abord passer le vieux. Ce malentendu est causé par une mauvaise interprétation de la politesse de la part de ce jeune chinois. Son énoncé « Vous êtes plus âgé que moi. » est hors  du contrat de communication dans ce contexte communicatif. Il est nécessaire donc d’indiquer que le contrat de communication s’inscrit dans le rituel et dans la culture ainsi que dans les relations interpersonnelles d’une société.

Il convient d’ajouter que le fonctionnement de n’importe quelle société est régi en grande partie par des contrats de communication : une société ne peut exister sans relations humaines, sans interactions, sans coopérations bilatérales ou multilatérales.

Comme l’enseignement / apprentissage du FLE se déroule dans la communication en cadre pédagogique, le contrat de pédagogie doit être mentionné pour introduire le contrat de didactique.

Notes
6.

P. Charaudeau, Rôles sociaux et rôles langagiers, In Modèles de l’interaction verbale, sous la direction de D.Véronique et R. Vion, page 88-89, Publication de l’université de Provence, 1995.