V.1. La pragmatique et les actes de langage

La pragmatique concerne l’ensemble des sciences humaines. Plus qu’une doctrine, elle se définit par une certaine manière d’appréhender la communication verbale, voire la communication. En matière de réflexion sur le langage, elle se trouve au confluent de divers courants.

D’après C. Kerbrat-Orecchioni, la pragmatique peut être définie comme l’étude du langage en acte, qui recouvre deux grands types d’objets :

  • le langage en situation, actualisé au cours d’un acte d’énonciation particulier. Dans cette perspective, on s’intéressera à l’ensemble des phénomènes observables au cours du processus d’actualisation, et en particulier aux modalités de l’inscription dans l’énoncé des énonciateurs impliqués dans ce processus ;
  • le langage envisagé comme un moyen d’agir sur le contexte interlocutif et permettant l’accomplissement d’un certain nombre d’actes spécifiques, l’expression « speech acts » est traduite en français, par « actes de langage » ou « actes de parole ».

Le langage est considéré autant comme un moyen d’action que d’interaction entre des individus qui, lorsqu’ils se trouvent engagés dans un processus communicatif quelconque, exercent tout au long de ce processus un réseau d’influences mutuelles : parler, c’est échanger, et c’est changer en échangeant.

La parole est une action ; dire, c’est transmettre une information à autrui, mais c’est aussi faire, c’est-à-dire tenter d’agir sur l’interlocuteur. Selon cette conception, parler, c’est non seulement transmettre un certain contenu mais encore manifester qu’on a le droit de parler comme on le fait : « Accomplir tel ou tel acte de langage, c’est se conférer un certain statut, conférer le statut corrélatif au destinataire, poser son énonciation comme légitime dans le contexte. » (D. Maingueneau1996 :45).

La naissance de la théorie du speech act remonte au début des années 60 avec la publication d’un ouvrage de J. L. Austin, mais avant lui, on avait déjà mentionné la valeur du langage. A l’origine d’inspiration anglo-saxonne, cette théorie a surtout mobilisé les réflexions de philosophes, de logiciens et d’anthropologues. Dire c’est aussi faire, c’est exercer une influence sur l’interlocuteur, c’est persuader le partenaire au cours du discours.

En réalité, au siècle dernier, plusieurs linguistes se sont consacrés à la recherche de la fonction du langage dans la communication, citons K. Bühler, C. Bally, A. Reinach, A. H. Gardiner. Dans leurs recherches, le langage a une valeur illocutoire, le langage n’est pas miroir de la pensée, mais moyen d’influencer la conduite d’autrui dans la coopération collective de la vie quotidienne. Selon B. K. Malinowski, « la principale fonction du langage n’est pas d’exprimer la pensée, le langage est essentiellement un moyen d’agir. » (C. Kerbrat-Orecchioni 2001:7).

J. L.Austin est considéré comme un des fondateurs de la théorie des actes de langage, l’une de ses contributions aux fondements de cette théorie, c’est sa découverte du performatif. Il signale que tous les énoncés sont dotés d’une force illocutionnaire.

Un autre fondateur de ce domaine est J. R. Searle, qui a développé sa théorie sur l’hypothèse de J. L. Austin. Il a indiqué que parler une langue, c’est d’abord réaliser des actes de langage, et que ces actes sont en général rendus possibles par l’évidence de certaines règles régissant l’emploi des éléments linguistiques. « Comme Austin, Searle considère que tout énoncé linguistique fonctionne comme un acte particulier, c’est-à-dire, il vise à produire un certain effet et à entraîner une modification de la situation interlocutive » (C. Kerbrat-Orecchioni 2001 :16). Cette force illocutoire manifeste sa valeur dans la communication.

De plus, critiquant la classification des actes illocutoires de J. L. Austin, R. J. Searle (1982) a proposé dans Sens et expression, sa taxinomie personnelle des actes illocutoires qu’il répartit en 12 dimensions de variation significative. Le contenu propositionnel ne s’actualise jamais seul, il est toujours pris en charge par une valeur illocutoire de nature variable.

C. Kerbrat-Orecchioni a aussi indiqué que dans le cas d’actes de langage indirects, dire, c’est faire plusieurs choses à la fois ou dire, c’est faire une chose sous les apparences d’une autre ; c’est-à-dire qu’un même acte de langage peut recevoir un grand nombre de réalisations différentes, et une même structure peut exprimer des valeurs illocutoires diverses. La plupart des structures phrastiques sont, en langue, illocutoirement polysémiques. En discours, les énoncés peuvent comporter plusieurs valeurs superposées qui peuvent entretenir divers types de relations.