V.3.2. L’interaction inégale

Une autre caractéristique, également fondamentale, de ce type de dialogue, est qu’il repose essentiellement sur une dissymétrie des locuteurs devant le code de communication employé. L’objectif de ce type de dialogue est toujours de transmettre le savoir aux apprenants qui ne se trouvent pas au même niveau linguistique et communicatif que leur enseignant. Le problème particulier de la classe de langue étrangère est que ce savoir est à la fois un outil de communication (non préalablement maîtrisé par les apprenants, mais déjà maîtrisé par l’enseignant), un objet de description et même un outil de description. L’interaction entre l’enseignant et un groupe d’apprenants en classe de langue étrangère est évidemment considérée comme une interaction inégale. En effet les statuts et rôle institutionnels ainsi que le savoir expliquent l’inégalité de cette interaction. Nous voyons ainsi souvent en classe de langue étrangère l’enseignant donner en général une explication métalinguistique. Il représente alors une personne possédant un savoir et un pouvoir face à un groupe plus ou moins homogène ne possédant ni l’un ni l’autre. Nous appelons ce contexte une situation conversationnelle d’autorité.

En réalité, dans les activités didactiques en classe de FLE, les apprenants essayent ou peuvent avoir le droit de bouleverser cette relation de dominant et dominé entre l’enseignant et les apprenants, ils peuvent en effet aussi interrompre le discours de l’enseignant. Quant à la prise de parole par l’apprenant, elle n’est pas nécessairement assujettie à l’autorisation de l’enseignant, elle surgit spontanément quelquefois et oblige le professeur à réagir.

Voici un exemple où l’on voit comment la prise de parole d’une étudiante s’effectue suite à l’intervention de l’enseignante, pour corriger grammaticalement la construction d’un énoncé de l’enseignante, qui réagit tout de suite une réaction pour garder sa place de dominance :

Nous observons que l’enseignante recourt plus souvent à ce que C. Heddesheimer et F. Roussel (1986 :45) appellent une « désignation implicite », cela veut dire que sans nommer aucun étudiant, elle incite ceux qui connaissent la réponse à répondre. La désignation implicite donnera lieu à l’intervention réactive d’un étudiant non désigné ou à une demande de prise de parole de sa part. La participation effectuée suite à une interpellation ou une manifestation vocale et / ou gestuelle sera suivie d’une évaluation de la part de l’enseignant.

La gestion de l’interaction et le système de distribution des tours de parole restent entre les mains de l’enseignant et lui permettent d’animer les activités didactiques en classe de langue. Pour rendre actifs tous les apprenants, il peut ne pas tenir compte de l’intention de participation des apprenants dans sa distribution des tours de parole. Citons ici un exemple issu de notre observation de la classe (1).

L’intervention de l’enseignante comprend dans notre citation trois actes de langage. Le premier, en forme de question, remplit deux fonctions interactionnelles : demander l’accord des apprenants et clôturer la séquence précédente. Le connecteur « alors » du deuxième acte langagier de l’enseignante introduit l’ouverture de la séquence suivante qui commence par une consigne de l’enseignante « écoutez la phrase ». Ces deux actes marquent la position dominante de l’enseignante. Les apprenants n’ont pas le droit d’interpréter un tel énoncé. Le troisième acte, en forme de question, attend une réponse des apprenants. Nous voyons qu’en classe traditionnelle, l’interaction didactique se développe en principe en fonction de la piste tracée par l’enseignant.

Lorsqu’un apprenant lance une intervention initiative en 56 (une grande chaussette ↓), en 57, l’enseignante répète l’intervention de l’apprenant (une grande chaussette ↑). En 58 nous voyons une intervention explicative de l’apprenant. En 59 l’enseignante procède à la reformulation (une grande chaussette pour des gâteaux ↓) qui est suivie d’une évaluation à double fonction (oui et non ↓) : le oui pour protéger l’initiative de l’apprenant, le non pour interpréter l’incohérence thématique. L’acte de langage de l’enseignante (alors nous allons étudier↑ après ↓) illustre encore une fois le statut dominant de l’enseignante. Pour l’apprenant, il est impossible d’avoir le droit de procéder à une évaluation, car son statut dominé ne le lui permet pas. L’intervention évaluative constitue le trait d’inégalité dans l’interaction en classe de langue étrangère. L’évaluation constitue, nous semble-t-il, un caractère pédagogique pour l’interaction inégale entre l’enseignant et un groupe d’apprenants.