V.3.4. L’interaction polylogale

Le polylogue décrit une situation réunissant plus de trois individus en chair et en os. Etant donné que la classe réunit un nombre d’apprenants supérieurs à trois interlocuteurs, elle peut constituer un polylogue. La classe, dans l’acception où l’entend la didactique, est un lieu privilégié d’échanges durant lesquels s’établit une relation entre l’enseignant et les apprenants d’une part et entre les apprenants eux-mêmes d’autre part. La classe est aussi un endroit fermé où l’étude est basée sur la communication entre les personnes. Le polylogue présente une importante formalité qui détermine les statuts participatifs dans le cadre et le format de participation dans laquelle l’enseignant, en tant qu’informateur, animateur et évaluateur du polylogue garantit une construction conversationnelle. Dans la communication en classe, toute interaction didactique se situe dans le cadre participatif officiel, dans le cadre biparti ou bipolaire. L’enseignant, ayant seul le droit de se tenir sur la scène des activités didactiques devant son public d’apprenants, tient un discours informatif destiné aux enseignés qui lui laissent occuper toute la place.

Nous remarquons aussi que parfois, une intervention est construite par plusieurs apprenants, chacun y apportant son concours. La plupart du temps, le discours de l’enseignant sert de fil directeur. Il est rare qu’en classe de langue étrangère, la structure des échanges entre l’enseignant et les apprenants ou même entre les apprenants soit simple. En effet, quand l’enseignant pose une question, un des apprenants fournit une réponse. En apparence, c’est un échange entre deux interlocuteurs, mais en réalité, c’est un échange entre plusieurs personnes, car la question de l’enseignant n’est pas destinée à un apprenant particulier mais à toute la classe. De même, la réponse donnée par un apprenant est souvent considérée comme celle de toute la classe ou au moins d’une partie des apprenants. Parfois, la question de l’enseignant incitant la classe à réagir peut rester sans réponse et la reformulation ou la sollicitation est nécessaire pour obtenir une réaction de la part des apprenants.

Il est intéressant de constater que les apprenants participent à la correction des fautes de leurs camarades sans attendre la permission de l’enseignant. Ils prennent des initiatives, ce qui constitue un des premiers pas vers une interaction polylogale, en s’écartant ainsi de l’échange strictement bilatéral. Mais il s’agit là d’une activité métacommunicative et non d’une véritable conversation. Nous constatons dans l’observation de classe, que si les apprenants ne corrigent pas spontanément la faute des autres, l’enseignant fait tout de suite une intervention, il ne la corrige pas immédiatement. A l’aide de procédés didactiques divers (incitation, reprise partielle, répétition totale, mise en garde…) l’enseignant essaie d’abord d’attirer l’attention des apprenants sur la faute et les incite ainsi à la corriger eux-mêmes.

Ce type d’interaction est remarquable dans l’enseignement universitaire, elle se manifeste non seulement dans le corps principal de l’interaction, mais aussi dans l’ouverture et la clôture du cours. En raison du contrat didactique, la bipartition de l’interaction en classe est marquée par le savoir qui établit une relation pédagogique entre l’enseignant et l’apprenant. Le premier prend la transmission du savoir comme objectif, et, le dernier, la possession du savoir-faire. Cette relation pédagoguque établie par le biais de savoir, est toujours présentée par l’interaction entre l’enseignant et son groupe d’apprenants, qui constituent, ensemble, durant leurs activités didactiques, le dialogue ou le polylogue : l’enseignant informe et les apprenants collaborent à la construction du discours professoral par l’émission de régulateurs positifs et négatifs. L’enseignant questionne toute la classe, qui constituera la réponse pour réaliser le contrat de co-énonciation.

En ce qui concerne le polylogue, nous trouvons que le comportement verbal de l’enseignant est toujours polylogal en classe de langue. Par exemple, quand il pose une question à toute la classe, nous pouvons observer les formes suivantes :

  1. Toute la classe répond à l’enseignant dans un polylogue si les réponses des apprenants sont différentes.
  1. Après la question destinée à un apprenant, qui est incapable de répondre ou de donner la bonne réponse, les autres répondent à l’enseignant à la place de leur camarade :

Cette forme démontre le fait que l’enseignant focalise sur un seul apprenant tout en considérant les autres comme destinataires secondaires. Celui qui répond à l’enseignant attend une évaluation de sa part et non de ses camarades. Pourtant, nous ne pouvons pas dire, dans cette situation, que les autres apprenants perdent leur statut d’allocutaires ratifiés car ils ne tarderaient pas à avancer d’autres réponses si la réponse du locuteur n’était pas satisfaisante.

  1. Toute la classe ne répond pas tout de suite à l’enseignant, qui demande à un des apprenants de lui répondre. L’apprenant qui répond est alors explicitement considéré comme porte-parole du groupe, et les autres répondent implicitement dans leur tête ou à voix basse. Nous observons très souvent une évaluation de l’enseignant qui dessine ainsi un schéma de polylogue. Après avoir donné la parole à un apprenant, l’enseignant doit non seulement évaluer la réponse, mais aussi l’officialiser pour toute la classe, interlocuteurs secondaires. L’enseignant est non seulement censé informer l’apprenant qui a répondu à sa question, mais aussi tout le reste de la classe. Nous savons bien que si l’enseignant évalue les propos d’un apprenant en s’adressant à lui, tant au niveau non verbal qu’au niveau verbal, il parle à toute la classe.

Dans cet exemple, nous remarquons que l’enseignant procède à deux répétitions partielles de la production de l’apprenant (en 9) et (en 11) qui sont des marqueurs permettant de les interpréter comme une évaluation visant l’apprenant-allocutaire et comme une assertion ciblant toute la classe. Les deux interventions évaluatives marquent, didactiquement, une distinction entre les destinataires direct et indirect. C. Kerbrat-Orecchioni (1998 :98) a nommé ce type d’intervention parole « bi-adressée » ou « pluri-adressée ».

  1. Nous remarquons une autre forme d’échange dans notre observation de la classe de langue au niveau de l’interaction entre l’enseignant et son groupe d’apprenants. C’est le cas d’un échange initié par l’apprenant à l’égard de l’enseignant qui laisse la place dominante aux apprenants : l’apprenant pose une question à l’enseignant pour demander de l’information concernant une connaissance culturelle.

Face à la question des apprenants, l’enseignante tente de rétablir la relation enseignant-enseignés en attirant l’attention de toute la classe sur l’importance des propos de l’apprenant. Les tentatives de l’enseignante, pour transformer ces dialogues en polylogues, sont visibles dans la répétition (en 241) ou la reformulation (en 247) des questions posées par apprenants.

  1. Enfin, les échanges entre les apprenants: Dans la classe (3), les apprenants deviennent les acteurs principaux après l’introduction de l’enseignante. Dans ce cas-là, l’enseignante se retire derrière le rideau comme le souffleur au théâtre et les apprenants prennent, chacun, à tour de rôle, la place de l’enseignante et adressent la parole à l’apprenant émetteur du tour précédent afin de donner son point de vue individuel sur un thème proposé par l’enseignante. Nous avons observé une telle interaction dans une classe de FLE en Chine.

Nous voyons comment, au sein des échanges, le cadrage est fluctuant. Ces fluctuations peuvent néanmoins être dites minimes et on peut les considérer comme des configurations du cadre officiel.