VI.3.1. La situation sociolinguistique

Nous reconnaissons qu’il existe une grande différence en ce qui concerne le comportement linguistique d’un enseignant, selon qu’il enseigne sa langue maternelle ou une langue étrangère.

Pour l’enseignement de sa langue maternelle, l’enseignant natif peut s’appuyer sur ses pratiques intuitives pour fixer la norme et déterminer jusqu’où l’on peut aller. Il n’a pas non plus de difficulté à se mouvoir au sein de l’univers communicatif de la langue enseignée, à en déterminer les nuances d’ordre pragmatique, à improviser, à sanctionner les productions des apprenants par des décisions qui sont, de toute façon, sans appel. Par exemple, le corpus EFp nous montre que la lectrice française, dans l’enseignement de sa langue maternelle, s’autorise une improvisation libre concerant les informations linguistiques ou culturelles. Elle ose laisser les apprenants lui poser des questions générales sur la fête de Noël. Elle a suffisamment confiance en elle pour apporter spontanément les informations dont ont besoin les apprenants non natifs tant dans le domaine linguistique que dans le domaine culturel.

Dans l’enseignement d’une langue étrangère, l’enseignant non natif a vécu, avant ses apprenants, l’expérience de l’apprentissage de la langue qu’il enseigne. Il est naturellement conscient des obstacles à franchir quelquefois avec un sentiment d’insécurité linguistique qui le rend particulièrement soucieux du respect d’une norme qu’il n’ose transgresser. Dans ce cas, le manuel devient la source académiquement assurée des informations linguistiques dans son activité professionnelle, et sa marge de manœuvre linguistique est plus réduite. Il ne peut pas s’autoriser à improviser aussi librement que son collègue natif. Il ne maîtrise qu’en partie l’aspect pragmatique du langage ou la manifestation de stratégies conversationnelles. Par exemple, nous observons, dans le corpus ECy, que la marge de manœuvre linguistique n’est pas très étendue, elle ne s’écarte presque jamais de la norme déterminée dans le manuel.

Nous voyons, dans cette analyse comparative des deux classes similaires, que pour diffuser les informations de savoir, la lectrice française se situe dans une situation complètement improvisée à partir d’un thème préparé avant la classe ; l’enseignante non native ne puise les informations de savoir que dans le manuel. De plus, il semble que l’enseignante non native ne soit pas prête psychologiquement à répondre à des questions inattendues des apprenants.

La différence linguistique entre l’enseignante native et non native entraîne une différence structurelle des activités didactiques sur le plan des informations de savoir :

  1. Pour la classe (1), les informations de savoir sont généralement présentées avant les interventions des apprenants. Les informations transmises limitent la pratique des apprenants.
  2. Pour la classe (2), les informations de savoir sont généralement présentées après les interventions des apprenants. Les informations de l’enseignante répondent au besoin des apprenants.
  3. Pour la classe (3), bien que les informations de savoir soient présentées au moment du besoin linguistique, l’enseignante conserve la liberté de son intervention, c’est-à-dire qu’elle peut se taire si elle rencontre un obstacle linguistique, car elle n’est pas l’actrice principale de la scène conversationnelle.