VII.2.4. Le changement de la position interactionnelle

L’acquisition de la langue étrangère en contexte universitaire et dans le milieu-classe demande aux apprenants de réaliser deux tâches en même temps, sous la direction de leur enseignant: d’une part, ils doivent acquérir la langue au moyen de laquelle ils essaient de communiquer, et d’autre part, ils doivent communiquer en utilisant la langue qu’ils essaient d’apprendre. Or, plus on communique, plus on a accès aux données de la langue cible ; et plus on obtient de réactions des interlocuteurs, plus on a de chances de progresser. Le progrès et la possibilité de communication sont donc en étroite interaction.

L’enseignement s’appuie sur l’interaction didactique pour organiser l’apprentissage du vocabulaire, les exercices grammaticaux ou l’entraînement structural. Pour mettre les apprenants dans la pratique de la communication didactique, l’enseignant essaie de provoqquer toutes les occasions de pratiquer la langue cible dans la communication simulée.

Pour la classe en forme traditionnelle prise en charge par une lectrice française, nous notons dans le corpus un moment où le déroulement de l’interaction didactique est orienté par les apprenants et non par l’enseignante, avec donc un changement de position  interactionnelle : l’enseignante laisse les apprenants lui poser les questions qui les intéressent afin de stimuler une participation active.

L’extrait ci-dessous est un exemple issu du corpus EFp. L’objectif est de faire savoir aux apprenants comment les Français passent Noël. Pour animer la classe, l’enseignante laisse la position directive aux apprenants afin qu’ils puissent poser les questions qui les intéressent culturellement.

Ici le discours de l’enseignante a pour objectif de solliciter la participation aux activités didactiques. Après l’enseignement du vocabulaire et de la grammaire, l’enseignante veut quitter le centre de la scène, se mettre à côté des apprenants pour réppondre à leur question concernant Noël en France. Nous voyons, dans cette partie, un changement de la position interactionnelle entre l’enseignante et les apprenants : les questionneurs sont les apprenants, l’enseignante devient celle qui est capable de répondre aux questions des apprenants. Elle devient informatrice.

Le changement de position se caractérise par la proposition d’organisation de la part de l’enseignante « par groupe de 3 ou de 2 », connectée par un marqueur « alors », lequel permet interactionnellement à l’interlocuteur de changer le sujet du discours. Structurellement, nous remarquons que le connecteur « alors » ferme le discours précédent qui concerne la différence entre la France et les pays anglophones pour fêter Noël, l’enseignante passe alors au sujet suivant qui concerne l’organisation des activités didactiques.

Ensuite elle donne à toute la classe la consigne en chiasme :

« vous allez écrire↑ 2 questions à Véronique …

2 questions vous allez écrire↑ ».

Cette reformulation exprime à la fois la volonté de l’enseignante de céder la place aux apprenants et celle de se retirer à côté de la scène afin que les apprenants puissent arriver à « posez des questions   passer Noël↑».

En classe (3), au moment de la transposition, se remarque le changement total de la position interactionnelle entre l’enseignante et son groupe d’apprenants. Les règles de circulations de la parole sont très différentes de celles d’une classe traditionnelle, caractérisée par une alternance régulière de prise de parole entre enseignant et apprenant. En effet, dans notre corpus, nous notons de longs passages où l’enseignante n’intervient pas et où les apprenants communiquent vraiment, se regardent et donnent tous les signes interactionnels qui engagent la parole et permettent de la céder aux autres. Il nous faut signaler que ce changement de position n’entraîne aucun changement radical de la place institutionnelle : la place dominante de l’enseignante dans l’enseignement / apprentissage ne change pas et la relation enseignant-enseignés reste toujours la même. Ce changement de position interactionnelle, bien que total, vise à la pratique langagière avec une participation massive des apprenants : parallèlement à leur conversation, une interaction entre enseignante/enseignés (qui présente les caractéristiques didactiques) se déroule durant la conversation. L’intervention de l’enseignante apparaît à tous les moments où elle remplit les fonctions de l’enseignant : informateur, meneur, évaluateur, suppport linguistique et surtout locuteur savant en langue cible.

Nous remarquons que le changement de la position entre l’enseignante et les apprenants permet l’animation des activités didactiques. C’est grâce à l’animation que les apprenants prennent la parole dans la pratique communicative ; et que les apprenants deviennent plus actifs dans l’apprentissage et dans la participation. C’est grâce à l’animation que l’enseignante réalise sa fonction et qu’elle arrive à ne pas solliciter la pratique langagière des apprenants. D’après F. Cicurel, c’est à travers cette fonction de distribution des tours de parole que l’enseignant assure la cohérence discursive des échanges et l’animation de la classe. Quand la classe est animée, nous voyons que l’importance de la distribution des tours de parole est relative ; quand la classe est moins animée ou quand l’enseignant remarque que certains apprenants ne sont pas très actifs en classe, la distribution des tours de parole paraît nécessaire par la nomination, par le regard ou par un geste sollicitatif.