VII.3.3. La pratique langagière et le discours encourageant

L’apprentissage de la langue étrangère en classe est un processus psychologiquement et socioculturellement complexe, parce qu’apprendre à parler une langue étrangère n’est pas une action individuelle, comme C. Kramsch (1984) l’a souligné.  Engagé dans l’apprentissage d’une langue étrangère, chaque individu a une responsabilité non seulement vis-à-vis de ses tâchesd’apprentissage, mais aussi vis-à-vis de sonfonctionnement individuel au sein du groupe. Il doit choisir le rôle qu’il veut jouer dans la conduite du discours. Chacun a une responsabilité vis-à-vis du groupe, dont il doit assurer la cohésion et le bon fonctionnement, car de là dépendra sa capacité d’accomplir ses tâches individuelles.

La complexité du processus d’apprentissage de la langue étrangère exiged’une part, une ambiance agréable et favorable, et d’autre part, demande à l’apprenant d’avoir une bonne motivation. Cette dernière concerne le problème de l’espace, c’est-à-dire que la classe, considérée comme laboratoire interactionnel, offre aux apprenants l’occasion de produire des interventions entre l’individu et le groupe. Une atmosphère propice à l’apprentissage de la langue doit être conçue comme un climat détendu, confiant, pour que les apprenants osent se lancer dans une situation inévitablement fautive et maladroite, surtout quand on rencontre des difficultés. La stratégie d’animation de la classe pose donc un problème délicat à l’animateur de classe. L’enseignant doit savoir se taire, laisser à l’apprenant le temps de se souvenir, de construire sa réponse, il doit accepter le rôle de souffleur, encourager à poursuivre une réponse malgré les inivitables erreurs.

Les encouragements de l’enseignant jouent un rôle important au cours des activités en classe de langue, pour créer une atmosphère propice à l’apprentissage et pour intensifier la confiance des apprenants. Sans encouragement, le désir et l’initiative des apprenants seront limités et l’apprentissage collectif ne sera pas efficace et animé. Dans la lecture de nos corpus, il nous est facile de trouver les manifestations des encouragements dans les interventions de l’enseignante, au cours de l’animation des activités didactiques. L’acte langagier encourageant a généralement pour but d’animer (de relancer ou de solliciter) la participation active des apprenants.

Le discours de clôture de l’enseignante en 54 commence par l’encouragement des comportements langagiers des apprenants. On peut déceler dans cette intervention deux actes de langage : le premier acte est un acte directeur, qui est considéré comme bilan général de la classe de conversation. Le deuxième acte langagier est un acte subordonné qui souligne la compétence communicative des apprenants. Leurs compétences linguistiques et communicatives sont le support d’une conversation aisée.

Dans l’exemple suivant, nous allons voir comment l’enseignante française encourage, dans son intervention, l’apprenant à réaliser la production langagière tout en maintenant la participation active de cet apprenant quand celui-ci rencontre une difficulté linguistique.

Les interventions de l’enseignante consistent à la fois à encourager l’apprenant et à l’aider à réaliser, étape par étape, la production linguistique souhaitée.

En 120 l’apprenant manifeste des difficultés évidentes à répondre à la question reprise par l’enseignante en 103 « quand est-ce que tu es né » ; il ne peut pas exprimer en français « quatre-vingt-trois » à cause d’une mauvaise préparation psychologique. Il nous faut reconnaître que l’expression du chiffre en français constitue un vrai problème pour les apprenants chinois, qui, dans leur langue, comptent comme en anglais. En français, quand on compte, il faut calculer à partir de 70, (soixante-dix égale soixante plus dix), et 83 égale vingt multiplié par quatre plus trois. 25

L’enseignante a remarqué cette difficulté en 121 ; elle a répété alternativement dans son intervention trois fois l’acte de langage plein d’encouragement « ce n’est pas grave », qui veut dire que ça ne fait rien, c’est une petite question dans le but de sauver la face de cet apprenant. Ensuite pour l’encourager, l’enseignante a exprimé une compréhension « on va voir ensemble », qui signifie qu’elle va apporter de l’aide à réaliser la production linguistique. Nous trouvons dans le discours de l’enseignante deux autres actes plus encourageants que les actes précédents « ça va peut-être » et « ça va  », qui interprètent respectivement d’abord que l’apprenant pourrait résoudre le problème tout seul et ensuite qu’il a déjà assez bien fait la première partie de la production. Tout de suite après, l’enseignante passe à la reprise de la difficulté de l’apprenant pour encourager sa production. Dans l’acte langagier de l’enseignante « alors mille neuf cent neuf cent ah oui », la marque « ah oui » confirme la justesse de la première partie de la réponse, et la marque suivante « mais » indique ce qu’il reste à réaliser dans la suite de la production pour améliorer la production.

En 122, l’apprenant est arrivé à la production correcte attendue grâce à l’intervention de l’enseignante qui est destinée également à encourager toute la classe.

En 123, la série d’encouragements de l’enseignante joue le rôle d’évaluation positive « très bien ↓c’est très très bien ↓ », elle est suivie de la répétition de la réponse correcte de l’apprenant.

Il est certain que le discours de l’enseignante française est régulièrement pontué d’évaluations positives vis-à-vis de la production langagière des apprenants, il n’y a presque pas d’évaluation négative, même si la production ne correspond pas à ses attentes.

En classe (1), ce qui nous frappe dans l’interaction entre l’enseignante chinoise et son public, c’est la quasi absence d’évaluation positive de l’enseignante par rapport à la production des apprenants, pendant toute la classe. Seule, une évaluation positive se manifeste dans l’interaction de l’enseignante en 46.

Cette absence est peut-être due à l’exigence de la forme linguistique, le manuel empêchant l’enseignante de diriger habilement son travail. Mais c’est un fait qu’il y a moins de discours encourageant dans l’intervention de l’enseignante par rapport à celles qui travaillent dans les classes (2) et (3).

Il est facile de remarquer que dans la classe (2), l’enseignante française encourage beaucoup son groupe d’apprenants lors de ses interventions interactionnelles, par rapport à ses deux collègues chinoises. Entre les deux enseignantes chinoises, nous constatons aussi une différence : la quantité des encouragements est plus importante en classe (3) qu’en classe (1). Ainsi, plus les encouragements sont nombreux dans le discours de l’enseignant, plus la classe est animée. Au sujet du type de classe, nous constatons aussi que plus on donne de la liberté aux apprenants dans leur pratique langagière, plus la classe est animée ; et plus on est exigeant sur la correction des formes linguistiques, moins elle l’est.

Nous concluons que l’encouragement est une partie importante de l’organisation des activités didactiques dans l’apprentissage, parce qu’il suscite le désir d’apprendre, le désir de parler, le désir de participer et le désir de communiquer dans l’apprentissage de la langue étrangère. Le discours encourageant de l’enseignant est indispensable à l’animation de la classe.

Notes
25.

Dans l’apprentissage du FLE, les étudiants chinois accordent une grande attention et mettent beaucoup de temps pour la compréhension des chiffre supérieur à 70. Il leur faut calculer. De plus il n’existe pas l’unité de dix mille en français, mais on la trouve dans le chinois.