VII.4.1. Le rire disjoint

Dans les interactions verbales en classe entre l’enseignant et les apprenants, nous remarquons que le rire solitaire est en grand nombre du côté des apprenants dans les activités didactiques. Dans la situation des interactions, le rire solitaire peut se charger en classe, dans l’entretien pédagogique et l’examen oral, des fonctions interactionnelles suivantes.

  1. Comme fonction interactionnelle, le rire peut signaler la tension des apprenants dans une situation difficile au cours des activités didactiques. Etant adultes, les apprenants comprennent bien ce qu’ils doivent faire en classe ou dans les activités didactiques. Dans la participation aux activités didactiques, ils doivent gérer aussi le problème de face, indispensable pour la dignité personnelle, même si le français n’est pas leur langue maternelle. Aux questions de l’enseignant, ils éprouvent une tension psychologique quand ils ne savent pas la réponse. Dans ce cas-là, la meilleure clé pour éviter, d’une part, de perdre la face, et d’autre part, pour faire baisser la tension, tout en sollicitant la compréhension de l’enseignant, c’est le rire, moyen de sortir d’embarras de façon non verbale dans la communication avec le partenaire.

Dans cet exemple, nous voyons trois tours de parole. Le rire est respectivement manifesté au début et à la fin du tour de parole en 20. Le premier rire est un moyen de sauver la face et d’admettre une mauvaise réponse à la question de l’enseignant. Pour le deuxième rire en 20, il exprime le soulagement de l’apprenante d’avoir trouvé la bonne réponse, sa fonction interactionnelle est donc différente.

  1. Comme fonction interactionnelle, le rire peut aussi atténuer la gêne en situation difficile. Dans l’apprentissage d’une langue étrangère, il arrive à tous les intéressés de faire des bêtises linguistiques, car dans la pratique d’une langue étrangère, on rencontre toujours des difficultés à l’oral et à l’écrit. C’est comme un bébé qui apprend à marcher : il lui faut tomber pour apprendre. Mais la réaction n’est pas la même dans l’apprentissage d’une langue. Quand l’enfant tombe par terre, il peut pleurer pour exprimer sa gêne. Quand un adulte tombe dans un piège linguistique, ce n’est pas en pleurant qu’il exprime sa gêne, mais par un rire solitaire et libérateur.

Acte vocal de communication, le rire s’exprime instinctivement après une incompréhension de la question de l’enseignant. Si l’apprenant s’excusait, comme il le fait, mais sans rire, la formulation serait plus formelle. Exprimée avec un rire, la gêne se réduit naturellement et harmonieusement.

  1. Comme fonction interactionnelle, le rire peut exprimer une sollicitation dans les échanges verbaux entre l’enseignant et les apprenants. Dans cette communication inégale, tous ne se trouvent pas au même niveau en ce qui concerne la langue-cible. Il est évident que les apprenants ont besoin d’aide de l’enseignant pour mieux dire ce qu’ils veulent exprimer. Surtout quand le vocabulaire manque, un simple rire peut obtenir l’aide du partenaire interactionniste pour arriver à former une réponse.

Exemple issu du corpus ECh (séance 2) :

En 22, il y a trois actes de la part de l’enseignant, les deux premiers se focalisent sur une simple question. Le deuxième reformule le premier, mais le troisième énoncé constitué d’une superlative exige une réponse unique. Pour l’apprenante en question, une réponse vague n’est pas possible, et le choix du vocabulaire doit être approprié pour répondre correctement à l’enseignant. En 23, nous remarquons que les efforts faits par l’apprenante en question sont vains ; elle manifeste deux rires pour exprimer sa difficulté à trouver la réponse attendue. Le premier rire est une manifestation de la difficulté éprouvée, le deuxième est une demande d’aide pour trouver la réponse exigée.

  1. Comme fonction interactionnelle, le rire peut apporter un soulagement aux apprenants qui trouvent la réponse après un certain moment de tension. Nous reconnaissons que cette fonction interactionnelle se rencontre plus rarement dans les interactions quotidiennes que dans les interactions pédagogiques.

Il s’agit d’un extrait d’un examen oral où l’enseignante commence, par une interrogation générale en 13, une question concernant une explication lexicale - « qu’est-ce que c’est le numéro et les numéros » - ; puis,il pose une question fermée sans attendre la réponse à la première question « oui aimez-vous admirer » « aimez-vous » « aimez-vous les numéros ↑ » ; après la réponse de l’apprenante en 14, l’enseignant reformule laquestion avec un changement syntaxique en 15« et quel numéro aimez-vous le plus ↑ ». En réalité, l’apprenante n’a pas compris la question de l’enseignant, et cette incompréhension s’inscrit dans sa réponse en 16. Mais l’enseignant n’a pas l’intention de poursuivre ce questionnement et il accepte la réponse de l’apprenante en 17 ; en 18, à la fin de son intervention, l’apprenante exprime un rire solitaire qui manifeste, après un moment de tension, son soulagement.