VIII. 1.3. Classe (1) : importance des évaluations sollicitatives

 La pratique langagière de cette classe de FLE est consacrée à faire, sous la direction de l’enseignante, des exercices grammaticaux définis par le manuel. Cela veut dire que l’interaction didactique entre l’enseignante et son public se focalise sur la production grammaticale des apprenants. Le bon emploi des expressions, que le manuel demande, constitue l’objectif de la pratique langagière. L’évaluation formative de l’enseignante, qui se manifeste sous forme sollicitative a le même but.

Le corpus que nous avons enregistré dans une classe de l’enseignement traditionnel du FLE nous permet de comprendre facilement pendant l’organisation des activités didactiques l’identité évaluative d’une enseignante chinoise. Par exemple dans la remise en contexte de l’expression « pour des prunes », nous remarquons que les évaluations de l’enseignante sont sollicitatives pour que les apprenants puissent se rendre compte de l’origine de la faute dans la production langagière et gardent l’initiative pour participer aux activités didactiques en classe.

Cet échange entre l’enseignante et une apprenante se compose de onze interventions, dans lesquelles nous en remarquons six qui sont respectivement des évaluations de l’enseignante sur la production antérieure de l’apprenante en question :

La première évaluation, évaluation négative, en 3 se manifeste d’une façon sollicitative d’abord sur la mauvaise construction syntaxique en 2 « ne le fais pas sinon ↑ vous ferez », l’évaluation d’un ton montant de l’enseignante veut dire que la production « sinon ↑ vous ferez » n’est pas correcte en 2, parce que la structure de la production de l’apprenante est verbalement un impératif de deuxième personne singulier et familière, dans la subordonnée, il faut faire l’accord du pronom en utilisant le pronom du sujet « tu » au lieu du pronom du sujet « vous ». Si l’étudiante préfère le pronom du sujet « vous » dans la subordonnée, il faut changer la forme du verbe « faire » dans la principale « ne le faites pas ».

La deuxième évaluation est encore une évaluation sollicitative, elle se rencontre dans la deuxième partie de l’intervention de l’enseignante en 3. Il y existe une proposition introduite par la conjonction « ou », marqueur d’une évaluation sollicitative, dans « pour tu / ou pour vous » afin que l’apprenante puisse faire le choix. Cette évaluation sollicitative démontre évidemment que la première évaluation sollicitative de l’enseignante en 3 a pour but d’aider l’apprenante à remarquer la faute et à bien faire la transformation. En 4, nous remarquons que l’apprenante en question a bien choisi le pronom sujet « tu » en disant « pour tu » après avoir compris l’évaluation sollicitative de l’enseignante.

La troisième évaluation est évidemment sollicitative avec un marqueur « ou » en intervention de l’enseignante en 5. Comme l’apprenante a choisi le pronom « tu » en 4 « pour tu », le marqueur interactionnel « alors » introduit l’intervention évaluative de sollicitation « après c’est tu ↓ tu le feras / ou vous le ferez » pour guider la production de l’apprenant.

La quatrième évaluation marquée par « oui » de la part de l’enseignante réside en 7. Nous pouvons découvrir qu’après l’évaluation sollicitative de l’enseignante, l’apprenante est arrivée à faire une bonne production langagière malgré le mauvais enregistrement qui nous empêche de faire la transcription, parce qu’en 7 le « oui » d’un ton montant n’a pas la même valeur interactionnelle que le « oui » en 11. En effet l’enseignante veut faire confirmer sa production par l’apprenante et la faire entendre à toute la classe, après l’évaluation appréciative, l’enseignante lui demande donc de répéter toute la phrase pour donner un exemple officialisé à toute la classe.

La cinquième évaluation dans cet épisode s’observe lors de l’intervention évaluative d’un ton montant de l’enseignante en 9. Il est évident que c’est une évaluation positive, appréciative et pleine d’encouragement, parce qu’en 8 l’enseignante remarque une petite difficulté manifestée par une pause de la production « ah :: » au début de la proposition introduite par « sinon ↑ ». L’intervention de l’enseignante est donc nécessaire, d’un côté, pour encourager l’apprenant qui a du mal à arriver à faire une bonne production, de l’autre, pour que l’apprenant gagne du temps pour bien faire sa transformation.

La sixième évaluation, évaluation appréciative, de l’enseignante se marque en 11 par « oui » prononcé sur un ton descendant qui constitue très généralement une marque d’évaluation appréciative et aussi une marque de clôture de l’échange verbal. Et l’évaluation officialisative « tu le feras pour des prunes » confirme didactiquement la bonne transformation, d’une part, et joue le rôle de clôture de l’interaction entre eux, d’autre part. Il faut mentionner ici que l’évaluation appréciative de l’enseignante se localise très souvent dans les échanges verbaux entre l’enseignant et les apprenants après la bonne réponse de la part des apprenants, et l’enseignant clôt aussi très souvent leurs échanges pour passer à autre chose après l’évaluation appréciative.

Ce qui nous semble marquant dans ce cours de français, c’est l’importance du manuel et le rôle de l’écrit. L’enseignante chinoise pose oralement des questions écrites dans le manuel, les apprenants répondent aussi oralement à ces questions en utilisant les expressions rencontrées dans le texte qu’ils viennent d’apprendre. Pour ce faire, elle recourt à un ensemble de discours didactiques visant à faire produire et à faire comprendre. L’évaluation est un des actes de langage que l’enseignant pratique souvent dans la séance. Normalement, en classe, après chaque production d’apprenant, l’enseignant fait une évaluation de ce qui a été produit pour indiquer à l’interlocuteur si sa production métalinguistique correspond à l’objectif attendu au départ et aussi pour susciter des remarques de l’ensemble de la classe. Par exemple : sur la syntaxe, sur la grammaire, sur la prononciation, et même sur la cohérence de l’échange. Dans l’évaluation corrective de l’enseignante chinoise, il lui arrive d’attirer l’attention des apprenants de manière à ce qu’ils puissent remarquer ou corriger la faute par eux-mêmes. C’est justement ce que nous appelons didactiquement l’hétéro-correction et l’autocorrection.

Les échanges entre le professeur et les étudiants en classe de FLE portent sur la grammaire dans la réutilisation orale de l’expression française « pour des prunes ». En 30, Ase a utilisé dans sa transformation le pronom complément d’objet direct « le » pour remplacer un nom féminin « réparation » en disant « ah :: ne le fais pas / sinon ↑ te feras /// ah :: pour des prunes ». En raison de la faute grammaticale et de la transformation imparfaite, l’évaluation de l’enseignante sollicite une auto-correction en 31 en utilisant « est-ce que // c’est correct » comme évaluation sollicitative. D’autre part comme l’enseignante se rend compte que c’est une faute grammaticale qui arrive souvent dans la production des apprenants. Elle ajoute un commentaire pour attirer l’attention de toute la classe « c’est pas mal / dans la classe ».

Ensuite à la fin de ce tour de parole, l’enseignante reformule la question originale « c’est une réparation inutile / je pense // » en demandant à une autre apprenante d’opérer une hétéro-correction « c’est correct / Ohca est-ce que la phrase de Sépacia est correcte ». C’est encore une fois une évaluation sollicitative. Mais immédiatement en 32 Ase reconnaît elle-même sa faute et elle fait une auto-correction « ne la fais pas sinon ↑ tu feras pour des prunes ». En 33 l’enseignante poursuit une évaluation positive et nécessaire « oui ↓ »en reformulant trois fois en changeant le déterminant du nom ( première fois article défini, deuxième fois article indéfini et troisième fois adjectif démonstratif) et l’organisation syntaxique que « la réparation / c’est une réparation c’est-à-dire / ne fais pas cette réparation / n’est-ce pas // » afin d’indiquer à l’apprenante, ainsi qu’à toute la classe, l’origine de la faute grammaticale.

L’objectif d’évaluation formative de l’enseignante est de rendre les apprenants de plus en plus grammaticalement précis dans leur capacité à produire de la parole en langue étrangère. Comme L. Dabène et F. Cicurel (1990 :49) ont indiqué «  Le professeur est celui qui a " le dernier mot " de par sa fonction d’enseignant qui lui confère l’autorité d’un "juge linguistique " pouvant décider de la validité des productions des apprenants ». Cette opération évaluative au cours des activités didactiques reflète la responsabilité de l’enseignant intégrée dans le contrat didactique.

En ce qui concerne les relations entre l’enseignant et les apprenants dans l’enseignement / apprentissage de la langue étrangère, J-P. Cuq et I. Gruca (2002 :118) ont signalé que « l’enseignement est une tentative de médiation organisée entre l’objet d’apprentissage et l’apprenant. C’est cette médiation qui peut être appelée guidage. On appellera donc situation guidée la médiation organisée dans la relation de classe. Dans cette relation, l’enseignant est la partie guidante et l’apprenant la partie guidée. En revanche l’appropriation linguistique hors de la relation de classe sera réputée non guidée. »

Cette citation nous permet d’établir dans l’enseignement du FLE en Chine les relations suivantes :

  • Les activités didactiques sont organisées par le manuel officiel.
  • La relation entre l’enseignant et les apprenants est inégale en ce qui concerne la connaissance linguistique.
  • C’est le guidage de l’enseignant et donc du manuel qui domine toute la séance.
  • En classe toutes les opérations de guidage exercent une influence considérable sur l’apprentissage des apprenants, il en est de même pour l’évaluation.

Dans notre observation des classes de FLE, nous découvrons que les guidages didactiques des enseignantes sont différents selon leur programme d’enseignement, leurs activités didactiques et leur comportement langagier. Les opérations de guidage représentent l’objectif de l’enseignant quand elle organise son travail. Avant et pendant le cours, son opération évaluative suit souvent la norme du manuel utilisé en classe de FLE en dépit de la différence linguistique entre les actants. Elle agit avec prudence en ce qui concerne les réponses, quand elles n’apparaissent pas dans le manuel.

L’exemple suivant consiste à transformer une proposition « ce sont des avis /moins importants / je pense » en une autre proposition comprenant l’expression « pour des prunes »

Nous observons que la réponse de l’apprenante en 12 n’est pas correcte, parce que premièrement, en français on ne dit pas « faire des avis », et qu’ensuite, on ne peut pas remplacer non plus le complément d’objet direct « des avis » par le pronom du complément d’objet direct « le ». En 13, l’enseignante lance une intervention sollicitative qui est destinée à produire l’autocorrection du verbe.

Après l’explication de l’enseignante, l’apprenante accepte la proposition de celle-ci en utilisant le verbe « recevoir » qui s’adapte bien au complément d’objet direct « des avis ». L’enseignante manifeste immédiatement une évaluation positive en 17 en répétant deux fois en français et une fois en chinois. Il faut dire que c’est une évaluation appréciative, mais le verbe « recevoir » n’est pas non plus celui indiqué dans le manuel, elle précise donc en chinois :

L’apprenante est obligée d’utiliser l’expression proposée, or elle ne connaît pas bien l’expression «se méfier de », il nous paraît donc naturel d’observer dans ses productions, les fautes en 18, en 20 et en 22 malgré l’évaluation sollicitative de l’enseignante en 19 et 23.

Finalement l’apprenante n’est pas arrivée à réaliser la transformation demandée par l’enseignante.

Il nous semble que l’enseignante aurait dû laisser l’apprenante utiliser le verbe « recevoir » pour transformer cette expression comme « ne reçois pas ces avis, sinon tu le feras pour des prunes ». Elle aurait de plus, évité une faute grammaticale, car le verbe « se méfier » est suivi de la préposition « de » et non de « à ». 

Après avoir analysé la fonction de certaines évaluations de l’enseignante dans la classe (1), nous remarquons qu’elles jouent un rôle de sollicitation afin de conduire les apprenants à une meilleure production langagière. Nous notons aussi que dans les interventions de l’enseignante, les évaluations explicitement positives formées par les expressions évaluatives telles que « très bien » « oui » et « voilà » ne sont pas fréquentes. Les évaluations explicitement positives ne se rencontrent qu’en 46 et en 98.